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L’accident de M. Blocher

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2163 4 décembre 2020

Dans Le Matin-Dimanche du 4 octobre, Mme Ariane Dayer et M. Fabien Muhieddine s’entretiennent sur deux pages avec M. Christophe Blocher. Celui-ci évoque son éviction du Conseil fédéral: «Les gens disent que ma non-élection était un accident. Mais non, c’est mon élection qui était un accident».

Sous des formes et avec des succès divers, les mouvements dits «populistes» existent un peu partout en Europe: la Lega et les Cinque Stelle en Italie, Vox en Espagne, Alternative pour l’Allemagne, le Rassemblement national et les Gilets jaunes pour la France. Ils cristallisent la déception populaire à l’égard des gouvernements élus et leur refus des «élites» qui encombrent les marches du pouvoir. Ils leur reprochent de s’enfermer dans leur tour d’ivoire, de mépriser les problèmes et les craintes de la population, de s’aveugler volontairement sur les problèmes que pose l’immigration, de sacrifier la nation à l’Europe et l’Europe aux règles, ou plutôt à l’absence de règles de la mondialisation, de laisser la politique se perdre dans les sables du marché, de plier les biens communs nationaux à des intérêts économiques ou idéologiques mal identifiables.

On retrouve ici les éléments principaux du discours de l’Union démocratique du centre. Cela suffit-il pour la qualifier de «populiste»? Peut-être, mais au fond, peu importe. Ce qui est sûr, c’est que l’UDC ne présente pas le caractère explosif, aventuriste, voire prérévolutionnaire de la plupart des mouvements populistes. Cette modération tient à plusieurs facteurs, à commencer par la personnalité de son chef. Capitaine d’industrie, détenteur d’un CFC de paysan et d’un doctorat en droit, colonel commandant de régiment, collectionneur d’art, lié à la Suisse par mille liens profonds, Christophe Blocher est le contraire d’un desperado ou d’une tête brûlée.

Autre facteur équilibrant, la démocratie directe contient et calme la force populaire brute en la canalisant dans les formules juridiques des textes d’initiatives et de référendums. La campagne de vote elle-même joue un rôle de catharsis qui, le vote effectué et le résultat connu, réduit les tensions de part et d’autre, au moins pour un temps. Cela évite à ce mouvement de se dissoudre en colère impuissante et destructrice, à l’image de la foule sans tête des Gilets jaunes. Un troisième facteur de modération est le fédéralisme, qui désamorce les idéologies et les passions en imposant à leur unitarisme aveugle le cadre concret, morcelé et différencié des cantons.

Les combats de l’UDC contre l’Espace économique européen, contre l’adhésion de la Suisse à l’Organisation des Nations unies ou contre la création d’un corps de casques bleus helvétiques, les nombreuses initiatives qu’elle lance au sujet de l’immigration ou de la sécurité, toutes ces actions visent au maintien de ce qui reste d’une Suisse souveraine, neutre et armée, indépendante économiquement et autonome en matière de politique d’asile.

Il faut raison garder. On ne saurait prétendre se substituer de l’extérieur à l’Etat dans l’accomplissement de ses tâches régaliennes. En particulier, il n’est pas possible de conduire une politique étrangère cohérente à coups d’initiatives et de référendums en rafales… surtout que le souverain finit par saturer et par dire non. Il faut plutôt considérer les succès de l’UDC comme des interventions correctrices sectorielles de la politique ordinaire. La victoire contre l’Espace économique européen fut un exemple d’école de cette action rectificatrice, qui se ressourçait aux bases de l’Alliance fédérale et réorienta durablement l’attitude suisse à l’égard de l’Union européenne.

L’entrée de M. Blocher dans le collège fédéral engendra une situation délicate. Un gouvernement doit parler d’une seule et même voix. M. Blocher était sans doute un esprit assez pratique et avisé pour jouer ce jeu et s’en accommoder. Mais sa seule présence était un symbole trop lourd pour le monde officiel.

L’UDC n’est certe pas la seule à jouer sur les deux tableaux. Le parti socialiste mélange lui aussi la participation au pouvoir et l’opposition. La différence est que cette opposition ne porte pas sur l’orientation dominante du gouvernement fédéral, égalitaire, centralisatrice, étatiste et pro-européenne. Elle critique plutôt le rythme trop lent et la prudence excessive des réformes qui vont dans ce sens.

L’opposition de l’UDC, elle, est frontale. Elle s’accroche aux fondamentaux de la souveraineté populaire et rejette absolument l’espèce de souveraineté parlementaire concurrente qu’invoque volontiers le législatif fédéral, comme on l’a vu avec le traitement de l’initiative sur l’immigration de masse. En ce sens, l’élection de M. Blocher, par 121 voix sur 237, constituait bel et bien un accident. La petite conjuration contre sa réélection, indécemment applaudie par les conjurés d’alors, a rétabli le courant normal, que l’accident avait brouillé quatre ans plus tôt.

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