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Les Alémaniques à la rescousse du français?

Benoît de Mestral
La Nation n° 2187 5 novembre 2021

On peut lire dans Lausanne Cités que l’association «Défense de la langue française» (DLF) lance une «contre-attaque contre l’écriture inclusive». En particulier, l’association organisera ce mois-ci les «Etats généraux de la Langue française en Helvétie» et se prépare à déposer à Genève une «Initiative populaire pour interdire l’écriture dite inclusive en Suisse». Afin d’analyser ce programme, il est important de démêler l’orthographe rectifiée et l’écriture dite inclusive. La première fut entérinée par l’Académie française en 1993 et est théoriquement enseignée en France comme en Suisse depuis des années (mais largement laissée de côté en pratique)1, alors que la seconde est condamnée par l’Académie, elle a été récemment interdite par l’Education nationale en France, par la Chancellerie fédérale pour les documents officiels en allemand, et plus récemment encore par le gouvernement valaisan pour les documents administratifs en français.

La Conférence intercantonale de l’Instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) a récemment décidé de modifier dès 2023 les programmes scolaires romands, afin que ne soit enseignée que l’orthographe dite rectifiée; non contente d’entériner de force une réforme que la population francophone a très manifestement refusée au cours des trente dernières années, la CIIP cache dans son poussiéreux projet des élans épicènes et inclusifs tout neufs. Les parlements jurassien et genevois ont heureusement déjà décidé de suspendre cette réforme; nos législateurs adopteront-ils aussi cette saine réaction?

Il n’est pas question de faire ici l’analyse des «rectifications» quasi abandonnées que reprend la CIIP; on renvoie pour cela notamment à l’éditorial de La Nation no 2182. Il est en revanche intéressant de s’attarder quelque peu sur les éléments dits inclusifs qu’y intègre la CIIP. En inscrivant comme «règle d’or»2 le choix de formulation respectant la «diversité des genres et des cultures», la CIIP laisse transparaître le véritable objectif de la réforme: non pas rectifier une orthographe ponctuellement incohérente pour faciliter l’apprentissage du français, mais plutôt utiliser la langue et le système d’éducation publique pour endoctriner dès le plus jeune âge le futur de notre nation. Relevons tout de même que la CIIP laisse heureusement de côté les excès réclamés par les minorités les plus bruyantes: ainsi on ne trouvera à l’école ni points médians, ni accords de proximité, et nos enfants pourront lire Rabelais, Montaigne, Balzac et Chateaubriand dans le texte original, plutôt qu’une version adaptée aux idéaux modernes.

Revenons à l’initiative. Son texte n’a pas encore été publié et il est donc impossible de se prononcer sur son contenu. Le titre laisse croire qu’il s’agira d’une interdiction comparable à celle ayant été prononcée en Valais, alors que les interventions médiatiques du président de DLF mélangent volontiers le combat contre l’écriture inclusive et celui contre la réforme de la CIIP. Les deux combats sont nobles: il faut préserver l’enfant d’un mauvais formatage à l’école, de même que l’adulte d’une corruption à l’usure due à une exposition grandissante à des graphies fantaisistes. On ne saurait pourtant les lier! Le français étant une langue officielle de la Confédération, il paraît sensé de régler la forme que celle-ci emploiera dans ses communications au niveau fédéral. L’instruction publique fait (encore) partie des attributions des cantons, et l’on ne saurait répondre à un problème local par une initiative fédérale. Il appartient à nos autorités cantonales, comme l’ont déjà fait deux de nos voisins, de torpiller le projet de réforme et de remettre en question les objectifs de la coordination intercantonale et, à défaut, au souverain d’agir en conséquence. On trouvera plus facilement dix mille Vaudois soucieux de l’éducation de leurs enfants que cinquante-et-un pour cent de Suisses allemands prêts à nous sauver.

Notes:

1  Tribune de Genève du 18 février 2008; La Liberté du 8 septembre 2018.

2  Voir «Le petit livre d’OR» (pour Orthographe Rectifiée), publié par la CIIP, p. 49.

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