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Deux futurs maréchaux torturés

Jacques Perrin
La Nation n° 2187 5 novembre 2021

Certains maréchaux échappent de justesse à la mort, mais pas à la torture. C’est le cas de Kirill Meretskov. Précocement empâté, les cheveux plats, solitaire, il rêvait d’être instituteur. Issu de la petite paysannerie, il ne participe pas à la Première Guerre, car l’entreprise qui l’emploie comme menuisier travaille pour la Défense nationale. Il adhère au parti bolchevique en 1917 et entre comme volontaire dans l’Armée rouge. Lettré, il est envoyé à l’académie de l’Etat-major général. En 1937, il est lieutenant-général et adjoint du chef de l’EMG. Il prépare l’attaque contre la Finlande, qui échoue. Il est critiqué mais conserve le commandement d’une armée. Il réussit une excellente percée, est décoré du titre de Héros de l’Union soviétique, puis dirige l’EMG. Il est limogé six mois plus tard parce qu’il ne partage pas les vues de Staline sur l’axe d’une possible attaque allemande. Il est arrêté juste avant l’invasion, accusé de complot, battu sauvagement; un bourreau urine sur sa tête. Il écrit à Staline et on le libère pour des raisons mystérieuses. Il est nommé à la tête de la 7e armée indépendante. C’est un homme brisé qui doit commander assis ou couché. Ils m’ont pissé dessus, répète-t-il sans cesse. Il frise le suicide, mais s’en sort en obéissant aveuglément à Staline. Il se soumet, accepte tout. Il poursuit sa carrière comme commandant de Front face à la Finlande, puis remporte, en août 1945, un succès net face à l’armée japonaise qui n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Meretskov, depuis qu’il a subi la torture, a vécu dans une profonde insécurité intérieure. En 1942, de mauvaises décisions de sa part (et de Staline) ont provoqué la perte de la 2e armée de choc du compétent général Andreï Vlassov, seul officier supérieur à passer du côté allemand – il le paiera très cher. Celui-ci a dit de Meretskov: Un égoïste. Une personnalité très nerveuse. Une conversation professionnelle sérieuse entre lui et les commandants d’armée était presque impossible.

Konstantin Rokossovski lui aussi a été arrêté et torturé. Cela ne l’a pas empêché de former avec Joukov et Koniev le trio des plus célèbres maréchaux soviétiques, les vainqueurs de Berlin. Il a le tort d’être à moitié polonais. Les Polonais sont des ennemis traditionnels de la Russie. A tel point qu’un jour, le chef du NKVD du district de Sverdlovsk fait arrêter préventivement toutes les personnes dont le patronyme se termine en –ski… En mai 1937, un ami de Toukhatchevski «avoue» sous la torture que Rokossovski est un agent trotskiste clandestin. Battu jour et nuit, le futur maréchal perd toutes les dents de devant et survit dans une cellule immonde de 10 mètres sur 10 où s’entassent près de cent prisonniers. Il n’avoue rien, ne dénonce personne. L’instruction de son procès traîne en longueur. Il est libéré en 1940 sans explications, récupérant son grade et le commandement du 5e corps de cavalerie. Désormais, à chaque sourire, il laissera entrevoir des prothèses de dents en acier. Persuadé que Staline ne savait rien, que le NKVD seul a causé son malheur, il est le seul maréchal à pleurer sincèrement la mort de Staline en 1953.

Mesurant 1 m. 95, les yeux bleu de givre, il n’hésite pas, comme ses confrères, à faire fusiller les récalcitrants. Mais c’est un très bon chef jouant sur différents registres. Il sait trouver des subordonnés compétents, se fait obéir sans insulter, menacer, humilier. Il possède une autorité magnétique, un calme à toute épreuve qui lui attache les hommes. Même blessé, il se maîtrise. Le journaliste Ilya Ehrenbourg dit de lui: C’est l’officier supérieur le plus courtois que j’aie jamais rencontré. Seul commandant de Front à oser ralentir une opération si la logistique ne suit pas, il est le second maréchal soviétique, après Malinovski, à édicter un ordre qui interdit de commettre des atrocités contre les civils allemands, sans grand succès il faut bien le dire.

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