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Trois leçons de la crise ukrainienne

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2194 11 février 2022

Dans l’hiver russe, des dizaines de milliers de soldats se massent, avec leurs chars, aux frontières de l’Ukraine. De son côté, l’OTAN augmente ses effectifs en Europe de l’Est. Si elle se défend d’envoyer en Ukraine des troupes de manœuvre, elle lui fournit armes, instructeurs et matériel. L’ampleur réelle de ses déploiements est difficile à établir. Les cellules de renseignement des états-majors doivent sérieusement transpirer. L’OTAN communique largement. La Russie laisse volontairement planer le doute. Cela aussi relève d’une stratégie.

Dans le fond, trancher la question de savoir si la guerre dans le Donbass ne fait que continuer ou si une invasion se prépare n’est pas déterminante pour la Suisse. Ce qu’elle doit constater c’est que le recours à la force militaire, même non létale, permet actuellement autant à la Russie qu’à l’OTAN de peser dans la balance des négociations, et d’obtenir – on peut le supposer – des résultats politiques.

Une armée remplit déjà certaines de ses missions par sa seule existence, la crédibilité de sa préparation, sa réalité matérielle et humaine. Il en va ainsi pour l’armée suisse également: vouée à la seule défense, elle a réellement gagné lorsqu’elle n’a pas eu à combattre. Mais cela présuppose de posséder des chars, des avions et des moyens cyber prêts à l’emploi. Cette aptitude seule prolongera l’affirmation territoriale de notre souveraineté. C’est une première leçon à tirer de la crise ukrainienne.

Une deuxième leçon est plus inquiétante: la guerre fascine toujours autant. Elle attise notre besoin d’épopée et de grandeur. On reproche facilement aux médias leur sensationnalisme. Mais s’il fait vendre, c’est bien qu’il joue sur une corde profonde. Lire en première page «C’est la guerre!» ou «Les Russes à Kiev!» serait plus excitant que d’apprendre l’existence de cas de Covid long dans les EMS vaudois1.

La guerre, c’est l’histoire avec un grand «H». De Homère à Ernst Jünger, beaucoup ont rappelé combien la violence sommeille au fond de notre âme. Rien n’est plus humain que l’éternel recommencement des conflits et des haines, autant que les rêves de gloire qu’ils autorisent.

La presse n’est pas en reste. Dans les médias électroniques, les fils d’actualités relatent avec frénésie l’échec de telle négociation, la vidéo de tel transport de blindés en Biélorussie. Chaque nouvelle rend l’invasion «imminente». Les tensions ne cessent de «croître». Les pourparlers successifs sont chaque fois «de la dernière chance». L’invasion finit par paraître inéluctable, même si personne n’en veut.

Ces dernières semaines, certains dirigeants occidentaux ont cédé à l’escalade langagière. Joe Biden a promis que le prix de l’invasion serait lourd et il a envisagé, le 26 janvier, de sanctionner personnellement Vladimir Poutine. Le 2 février, Boris Johnson a annoncé des sanctions au premier «toecap» russe (littéralement bout de chaussure ferré) posé sur sol ukrainien. Aucune sanction n’a encore été prononcée et, pour le moment, les effectifs supplémentaires ne sont destinés qu’au seul renforcement des flancs de l’Alliance.

Pourtant ces paroles engagent ceux qui les prononcent. Dans un régime démocratique, elles initient un engrenage infiniment plus simpliste que ne le sera l’accord diplomatique pourtant espéré. Tracer publiquement des lignes rouges revient autant à prendre le risque de décevoir son électorat et son camp que de braquer celui d’en face. Cela ouvre la porte à deux malentendus à la fois. Les rodomontades publiques, mettant l’opinion dans la balance, augmentent les dangers.

Sergueï Lavrov a formellement interpellé Ignazio Cassis sur la position de la Suisse quant à l’élargissement de l’OTAN. Cette question n’est pas un piège. N’en créons donc pas un avec notre réponse. Non membre de l’Alliance atlantique, ne parlons pas en son nom. Voyons plutôt ici l’occasion rêvée de jouer notre propre jeu. Cela sera la troisième leçon. En rappelant notre neutralité, M. Cassis parlera un langage original: ni compromission avec les alliés, ni grandiloquentes lignes rouges à l’égard des Russes. Tenir cette position revient à laisser le dialogue ouvert avec chacun, surtout si le téléphone rouge en venait à se taire.

Notes:

1    Souvenons-nous de la fierté avec laquelle Le Parisien et Paris Match avaient titré, en janvier 2013: «La Légion saute sur Tombouctou». Et il s’agissait, en comparaison avec le cas ukrainien, d’une opération mineure.

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