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Occident express 97

David Laufer
La Nation n° 2194 11 février 2022

Il y a quelques années, j’ai quitté la Suisse pour des raisons personnelles dont, petit à petit, je me sens le droit de parler, ne serait-ce que pour m’en libérer. Au cœur de cette décision, il y avait un petit garçon, sensible, intelligent, solitaire et obsessionnel. Mon petit garçon, dont l’entourage pédagogique persistait à nous répéter qu’il était «un souci». A ces remarques insistantes, faites sur un ton désolé, ont succédé des séances chez les pédopsychiatres, puis des qualificatifs médicaux, enfin des recommandations thérapeutiques et de parcage en institution. A ce stade, il nous est apparu que la fuite s’imposait. En arrivant en Serbie, non seulement aucune remarque ne nous a été faite, mais aucune suggestion thérapeutique et aucune recommandation de médicament. On a laissé notre garçon parfaitement tranquille, libre de grandir et de s’affirmer à son rythme. Ce qu’il a fait sans jamais poser de problème à ses professeurs, en excellant au piano, en traînant les pieds au tennis et en plongeant comme tous les enfants de sa génération jusqu’aux tréfonds de son smartphone. Nous voilà donc désormais dans ce paradis des enfants, ce pays qui jamais ne s’oppose à leur épanouissement et à leur bonheur. Et comme rien n’est jamais parfait, je découvre avec les années les travers de cette société dans son rapport aux enfants. C’est l’extrême inverse de la société suisse. Celle-ci est excessivement contraignante et uniformisante. On y valorise plus la discipline et la conformité que l’excellence et la créativité. On est prêt à y parvenir de force, par l’usage de drogues et de thérapies. Mais celle-là est excessivement permissive et soumise aux désirs de nos chères têtes blondes. On y considère comme péché de ne pas immédiatement se plier à leurs exigences souvent plus supposées que réelles, on les gave de chocolats, de sodas et de frites et on interrompt toute discussion pour brailler de joie devant le moindre gribouillage qu’on s’empresse d’encadrer. La culture suisse juge utile et sain de laisser un nourrisson hurler des nuits entières pour lui apprendre à s’endormir seul et à ne pas devenir «gâté», ce qui est apparemment la pire menace qui pèse sur son avenir. La culture serbe juge utile et sain de ne jamais punir un enfant, d’agiter des menaces vides de sens et jamais suivies d’effet et de masquer la réalité du monde le plus longtemps possible derrière des murailles de Nutella et de gratifications indues. La Suisse produit un nombre trop élevé d’adultes prématurément vieillis, tandis que la Serbie produit un nombre trop élevé d’adultes infantilisés. Heureusement pour nous, notre garçon a grandi, ces questions ne se posent presque plus pour lui et, comme le disait Marie Bonaparte, nous avons fait de notre mieux et nous avons donc fait faux.

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