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(Im)prévoyance-vieillesse

Cédric Cossy
La Nation n° 2194 11 février 2022

Le BAK (BaslerArbeitsgruppefürKonjunkturforschung) a publié en ce début d’année une étude sur mandat de l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP)1. Le document brosse un portrait consolidé des caisses de pension suisses et compare notre système de prévoyance-vieillesse à ceux de nos voisins européens.

Quel est le poids financier de ces institutions? La somme des fonds sous gestion dépassait les mille milliards en 2020 (+ 70% en 10 ans), soit 1,6 fois le PIB annuel suisse ou treize fois le budget de la Confédération. Seuls 20% de ces fonds sont placés dans des produits dérivés, les autres 80% étant investis dans des fondamentaux, pour moitié en Suisse et moitié à l’étranger. Sur le marché helvétique, les caisses de pension possèdent environ 3% des actions suisses, 10% du parc immobilier en location et 20% des obligations privées ou d’Etat. Ce socle peu volatil lie la santé financière des caisses de pension à la santé économique du pays. Mais avec la politique des taux bas appliquée en Suisse, ce sont les placements étrangers qui ont majoritairement contribué à la performance de ces trois dernières années (plus de 8% de rendement en 2021). Les employés et rentiers peuvent certes se réjouir de ces apports alléchants, mais doivent se souvenir que ceux-ci sont obtenus par la soustraction de plus de 400 milliards qui n’irriguent plus l’économie suisse, milliards soumis de plus à un risque important de volatilité (14% des avoirs des caisses se sont évaporés lors de la crise des subprimes en 2008).

Les caisses comptent 4,4 millions de cotisants, ce qui représente 90% de la population active. Les indépendants ou travailleurs à temps très partiel assurant seuls leur prévoyance professionnelle sont donc peu nombreux. Les caisses servent près de 1,2 million de rentes à 840 000 retraités, 200 000 veufs ou veuves, 114 000 invalides et 59 000 orphelins. A noter que les nouveaux retraités optent de plus en plus fréquemment pour une prestation partielle ou totale en capital à l’âge de la retraite. Ceci ramène les caisses de pension à jouer le rôle d’une institution financière offrant des placements défiscalisés. Cette évolution mérite d’être surveillée, car elle présente un risque certain pour l’Etat: les cigales qui flambent trop vite leur capital vieillesse se retrouvent à la charge des collectivités.

Les perspectives démographiques sont la grande crainte de l’ASIP. Les retraités vivent plus longtemps – la covid n’a pas modifié significativement la donne –, ce qui menace la stabilité financière des caisses. L’avoir accumulé durant une vie active ne suffit plus à couvrir les rentes de ces années supplémentaires de vie. Un taux de conversion de 6,8% tel que défini dans la loi épuise le capital en 18 ans, intérêts compris2, alors que l’espérance de vie à l’âge de la retraite dépasse 20 ans.

Les excellents rendements obtenus ces trois dernières années ont retardé l’émergence de ce problème structurel. Selon la loi, en période de faibles rendements financiers, c’est aux employeurs et aux assurés actifs d’assumer une éventuelle sous-couverture de leur caisse3. Mais cette même démographie prévoit sur dix ans la réduction de 3,3 à 2,5 du rapport de la population active relativement aux plus de 65 ans. Que va-t-il se passer lorsque ce ratio ne permettra plus aux actifs de compenser la sous-couverture des rentiers? La tranche d’âge des plus de 65 ans est en Suisse la plus satisfaite de sa situation financière. Est-il dès lors légitime de demander aux plus jeunes de financer encore longtemps cette satisfaction?

L’étude commandée par l’ASIP lui permet de confirmer et soutenir ses propositions, faites dans le cadre de la réforme de la prévoyance professionnelle (LPP 21): baisse du taux de conversion minimal obligatoire à 6%, cotisation des assurés avancée de 25 à 20 ans, baisse de la déduction de coordination et financement par les réserves des caisses de l’avoir vieillesse de la génération immédiatement impactée par ces changements.

Plus proche de nous, le Centre Patronal a proposé un autre modèle pour l’avenir de la prévoyance vieillesse4. Sans vouloir entrer dans les détails, ce modèle reprend la plupart des propositions de l’ASIP, mais les intègre dans un système où l’AVS et la pleine retraite s’appuient sur une durée de cotisation (44 ans) et non plus sur un âge de la retraite unique.

Les deux modèles partent cependant d’hypothèses purement démographiques, appliquées à une population pérenne et majoritaire de salariés travaillant en entreprise. Ils peuvent sauver les caisses, mais pas forcément le système de prévoyance-vieillesse. Divers signaux montrent que les plus jeunes générations aspirent à d’autres modèles de travail: il n’y a jamais eu autant d’indépendants qui se sont mis à leur compte que durant la période covid; le travail en franchisé (Uber et autres) est une autre réalité qui aura la vie longue. Cette population va échapper aux caisses de pension, accélérant en leur sein la venue du déséquilibre pressenti entre cotisants et assurés. Surtout, ces nouveaux travailleurs nécessiteront tôt ou tard une couverture vieillesse qui n’existe pas à ce jour. Le revenu de base inconditionnel va ressortir des tiroirs si aucune autre solution n’est rapidement trouvée.

Les caisses de pension représentent un instrument paradoxal de notre politique sociale: leur fin est d’assurer, en complément à l’AVS, un niveau de vie décent aux Suisses après l’âge de la retraite. Les cotisations paritaires employés-employeurs ne suffisent pas à couvrir les futures rentes et nécessitent les rendements spéculatifs du placement du capital. Instrument social financé sur un modèle capitaliste, il est condamné à déplaire tant à la droite qu’à la gauche.

Notes:

1    Ein volkswirtschaftliches Portrait der Pensionskassen, Studie im Auftrag der ASIP, BAK Economics AG, 2022.

2    Un taux technique de 1,75% a été pris en compte.

3  Les 5% des institutions actuellement en sous-couverture sont presque exclusivement des caisses institutionnelles. En cas de recapitalisation, celle-ci est donc partiellement mise à charge des contribuables, comme ce fut le cas pour la Caisse de pension de l’Etat de Vaud.

4  Pour une réforme de la prévoyance-vieillesse durable, moderne et sociale, Etudes et enquêtes No 45, 2020.

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