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Les risques ordinaires de la vie

Jean-François Cavin
La Nation n° 2200 6 mai 2022

Le prix du litre d’essence a dépassé 2 francs; celui du gaz va probablement augmenter fortement; l’électricité pourrait suivre modérément. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, en charge de l’Energie, a donc confié à un journal du dimanche qu’elle faisait préparer un plan d’aide aux ménages touchés par ces renchérissements. On ne reprochera pas à la ministre de prévoir le pire, d’autant moins qu’on ignore la teneur du dispositif; on regrettera toutefois qu’elle en ait fait mention publique, car cela conforte l’idée, répandue dans l’opinion, que l’Etat volera au secours des victimes de la hausse des prix.

La pratique est courante en France, où le pouvoir multiplie les «boucliers» protecteurs de ses administrés-électeurs. Pour la première fois de ma vie, l’autre jour en Bourgogne, j’ai fait le plein d’essence meilleur marché qu’en Suisse grâce à un cadeau macronien de 18 centimes par litre. Heureux touriste… Pour les gens du cru, ce n’est toutefois pas un petit avantage qu’on saisit au passage, mais un soulagement très bienvenu pour ne pas dire nécessaire, comme on a pu déjà l’observer à l’époque des Gilets jaunes. Lorsque beaucoup de salaires se limitent au SMIC de 1 645,58 euros bruts par mois (1 302,64 euros nets), montant adapté au 1er mai 2022, ou restent dans une zone de rémunération inférieure à 2 000 euros, on ne peut pas faire le malin sur les dépenses de base, dans un pays où l’automobile est indispensable à la majorité de la population.

Mais en Suisse? Les étatistes, affirmés ou camouflés, ne manquent pas de souligner à quel point on fut heureux, lorsque la crise coronavirale battait son plein, que la main publique soutienne les entreprises touchées et élargisse le droit aux allocations de chômage; vous voyez bien, disent-ils avec une certaine satisfaction de pouvoir tirer parti d’un malheur, que le libéralisme est fait pour le beau temps et qu’on ne peut pas se passer de la collectivité lorsque le ciel se gâte. Mais c’était une situation exceptionnelle, dont notre journal a saisi l’importance et l’anormalité en proposant, dès début mars 2020 (alors que les pouvoirs publics rechignaient encore à s’engager), une aide aux entreprises touchées; il y avait à cela de bonnes raisons: une crise grave et inédite, l’immobilisation de ces établissements par décret officiel ou par absence d’une clientèle obligatoirement confinée; et nous y mettions une condition impérative: que les pertes dépassent un certain seuil, car l’exploitant doit pouvoir assumer les risques normaux d’une fluctuation des affaires.

On ne peut hélas pas exclure que cette aide indispensable ait alimenté le réflexe d’un recours à l’Etat en des circonstances moins pénibles. A propos du projet fédéral, M. Fabian Muhieddine, rédacteur en chef adjoint à Tamedia, titre son éditorial du 21 avril: Des aides publiques sont nécessaires. Il soutient que la pandémie a fait évoluer les mentalités, qu’elle a ancré à nouveau l’Etat providence dans notre subconscient, que la guerre en Ukraine provoque une nouvelle crise, qu’une hausse des salaires – demandée par l’Union syndicale suisse – ferait porter à l’économie seule tout le fardeau de cette crise; et il se prononce en faveur d’une aide publique ciblée en faveur des personnes les plus vulnérables et des entreprises fragilisées.

Pas si vite! On ne peut certes pas exclure un drame, et des difficultés énormes pour quelques familles ou des exploitations très dépendantes de leur approvisionnement en énergie. Mais pour ce qu’on voit aujourd’hui, il faut relativiser fortement le danger. D’abord, pour le Suisse moyen qui gagne au moins 5 000 francs par mois, la hausse du prix de l’essence (de 40 à 50 francs par mois si elle est de 30 centimes par litre et que l’intéressé roule 2 000 kilomètres) représente à peine 1% de son budget; et celle du prix du gaz qui chauffe sa maison, si elle est de 50%, augmente sa facture de quelque 100 francs mensuels, soit 2% de son budget. Ensuite, notre économie se porte étonnamment bien, la pénurie de personnel est prononcée dans plusieurs secteurs, le chômage est au plus bas; les salaires vont donc augmenter, par l’effet du marché et non pour alléger le fardeau des ménages – mais ce sera quand même le résultat connexe!

Il faut refuser de considérer l’Etat comme une assurance-tous-risques. Son soutien dans des situations de tempête ne justifie aucunement son intervention lorsque souffle un vent contraire de force moyenne. Les ménages en situation normale, même modeste, doivent et peuvent épargner en vue des coups durs que la vie leur réserve. Les entreprises aussi. Et puisse Mme Sommaruga, si elle s’appuie sur un bouclier à l’image de Dame Helvetia, le laisser à ses pieds et ne jamais s’en servir.

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