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Le prix de l’électricité

Cédric Cossy
La Nation n° 2211 7 octobre 2022

La hausse des prix de l’électricité sur le marché libre pose de sérieux problèmes. 24 heures, dans ses éditions du 9 septembre et du 3 octobre, a présenté le cas de Saint-Prex, confrontée à une hausse de 1600% pour ses besoins communaux. Des PME sont menacées d’augmentations du même ordre, pour beaucoup avec un risque existentiel majeur. Comment en est-on arrivé là? Que va-t-il se passer? Que faire pour éviter des faillites en cascade?

La LApEl (Loi sur l’approvisionnement en électricité) de 2007 et son ordonnance d’application OApEl imposent de séparer la prestation de distribution (l’infrastructure nécessaire pour amener le courant chez le client) de la composante énergétique. La tarification de la distribution est strictement contrôlée afin d’empêcher les distributeurs de profiter de leur monopole technique. A ces tarifs fixés annuellement s’ajoutent diverses taxes fédérales, cantonales, voire communales. Quoique à l’abri des mouvements spéculatifs, ces tarifs peuvent varier d’un distributeur à l’autre selon les coûts effectifs nécessaires pour l’entretien ou l’extension de son réseau et selon les taxes locales.

La LApEl répondait à la volonté de libéraliser totalement l’accès au marché pour la part énergétique. L’objectif n’est à ce jour que partiellement atteint, puisque seuls les grands consommateurs ont accès au marché libre. Les petits consommateurs restent aujourd’hui captifs de leur distributeur.

Le prix de l’énergie fournie aux clients captifs est lui aussi régulé. Il est la moyenne pondérée du prix de revient du courant produit par le distributeur et du prix d’achat du complément acquis sur le marché libre pour honorer la fourniture à ses clients. L’affaire se complique avec la possibilité d’achats à terme: le distributeur procède en général à des acquisitions anticipées de tranches (définies au quart d’heure) afin de couvrir les besoins de sa clientèle, besoins dont le pronostic s’affine à l’approche de la date de consommation. Les distributeurs ont en général acquis plus de 90% des besoins pour le mois courant et autour de 80% à l’horizon d’un an, complétant leurs achats au fur et à mesure des imprévus de consommation et de leur production propre. Le prix dit «spot» correspond au tarif pour les achats de dernière minute nécessaires pour équilibrer besoins et fourniture.

Selon la LApEl, on est grand consommateur à partir d’un emploi annuel de100 MWh. Ce seuil reste modeste car il correspond à une PME dont l’atelier occupe cinq à dix personnes. Ces consommateurs peuvent décider de renoncer, mais de manière irréversible, à leur statut de clients captifs pour conduire leur propre stratégie d’achat sur le marché libre. Dans les faits, seules quelques grandes entreprises assument seules le trading de leur électricité à l’international. Les autres consommateurs libres continuent généralement à confier cette activité à un distributeur suisse, qui leur propose des contrats par tranches annuelles ou biennales à tarif fixe. Le distributeur n’est toutefois qu’un intermédiaire commercial parmi d’autres, libre des contraintes tarifaires applicables aux clients captifs.

Depuis plusieurs années, les tarifs sur le marché libre étaient inférieurs aux coûts de production indigène. Ceci a motivé nombre de PME à faire le pas vers le marché libre. Alors que les coûts de la production indigène étaient facturés aux consommateurs captifs, les distributeurs suisses ont offert aux consommateurs libres des tarifs très bas, alignés sur ceux du marché européen.

En Europe, environ 20% de l’électricité sont produits à partir de gaz. Ceci correspond grosso modo à la part du courant non réservée par des achats anticipés. L’annonce d’une possible pénurie de gaz liée à la crise ukrainienne implique donc une incertitude presque totale sur la fourniture de cette dernière tranche électrique. Le prix spot a donc explosé, grimpant à plus de 1,15 franc le kWh à mi-août. A l’exemple de Saint-Prex, les clients soumis à ce moment à une échéance de contrat ont ainsi reçu des offres de renouvellement à des tarifs stratosphériques. Il a suffi de la promesse de redémarrage d’une centrale nucléaire française pour faire retomber le kWh à 62 centimes.

Le prix spot qui affole les médias n’est donc pas le prix auquel les clients captifs, ménages en tête, vont devoir payer leur électricité l’année prochaine. La hausse des tarifs sera tout de même substantielle, malgré les achats anticipés et la production indigène dont le prix de revient n’a pas changé. Si la hausse n’est pas uniforme sur tout le territoire suisse, c’est qu’elle dépend de la capacité de production indigène du distributeur local et de ses talents dans le trading. C’est de ces mêmes talents que vont dépendre les tarifs 2024 et 2025, car l’achat de tranches de consommation pour les années à venir a déjà commencé.

La situation est autrement plus problématique pour les consommateurs qui ont opté pour le marché libre. La plupart n’ont pas l’expérience pour mener une stratégie d’achats autonome et les offres des distributeurs indigènes leur font porter l’entier du risque tarifaire. Actuellement, la seule option est la fuite en avant, consistant en des contrats d’approvisionnement renouvelés à très court terme, dans l’espoir d’un décrue rapide des tarifs à plus long terme.

Que faire pour éviter trop de faillites et de casse économique?

Sur le plan européen, une certaine régulation des tarifs sur le marché libre est souhaitable: ceci peut se faire par des fermetures imposées de la bourse d’échange lorsque les tarifs sortent d’une fourchette raisonnable, ou par l’imposition de plafonds tarifaires.

En Suisse, faut-il permettre aux consommateurs libres de redevenir captifs? Ceci n’ira pas sans fâcher les ménages et autres usagers captifs. Ces derniers ont assumé le coût de la production indigène lorsqu’elle n’était pas compétitive et ils devraient, maintenant que cette production est la plus avantageuse, en partager le bénéfice d’usage avec ceux qui ont précisément décidé de se soustraire aux contraintes du marché indigène.

Des allers et retours des gros consommateurs entre système monopolistique et marché libre ne sont en aucun cas admissibles. Nous plaidons donc pour une modification de la LApEl destinée à mettre fin à la libéralisation et à imposer le retour de tous les consommateurs libres dans la communauté des clients captifs. Afin de limiter l’impact tarifaire de ce retour pour les anciens clients captifs, nous proposons l’instauration d’un mécanisme temporaire de compensation à leur profit: ils verraient leurs tarifs diminués de 4 à 5 centimes/kWh pendant cinq ans, le manque à gagner étant compensé par une hausse sur la même durée de la facture des anciens consommateurs libres.

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