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Pénuries

Jean-François Cavin
La Nation n° 2213 4 novembre 2022

Cela a commencé par les masques sanitaires, dont les responsables avaient omis de faire les stocks nécessaires, et avec les gros mensonges de l’officialité sur l’inutilité de cet accessoire. Puis on a frisé la catastrophe avec les appareils respiratoires. Quant au papier de toilette, sa rareté nous faisait froid dans le bas du dos. Hors pandémie – ou comme effet indirect d’icelle – la Chine ne livrait plus des produits indispensables à notre industrie: les transports étaient paralysés. Là-dessus la guerre d’Ukraine nous prive de fournitures venues de ce pays (un partenaire commercial un peu plus important qu’on croyait); la famine guette certains pays faute de blé; le froid nous menace, nous, faute de gaz russe et d’électricité allemande et française. Et récemment, les responsables des pharmacies d’hôpitaux et des pharmacies de ville ont révélé qu’il nous manquait plusieurs centaines de médicaments; il faut tenter de les trouver selon le système D, ou utiliser d’autres remèdes apparentés mais moins efficaces, ou s’en passer; ce qui ne réjouit pas le malade.

Depuis trois ans, nous réapprenons donc ce qu’est la pénurie. Et il ne suffit pas de constituer les réserves de ménage que les autorités et la simple prudence recommandent d’avoir; car les biens qui font défaut sont souvent des produits échappant à l’usage courant ou à la volonté des familles. L’affaire est donc politique.

Ces difficultés d’approvisionnement montrent les limites de la mondialisation heureuse, de la division internationale du travail, de la pratique des entreprises travaillant à flux tendu. Ces préceptes économiques de libéralisme et d’efficacité, qui ont leurs vertus, se révèlent aussi facteurs de vulnérabilité pour nos pays. Les bureaux fédéraux en charge de l’approvisionnement font probablement ce qu’ils peuvent dans leurs domaines, mais la question va au-delà de préparatifs pratiques ou techniques. C’est tout un système économique qu’il faut repenser; et nous sommes étonnés que nos élus en parlent si peu.

Nous n’allons pas plaider pour une impossible autarcie, encore qu’il ne faille pas exclure de viser à l’autosuffisance dans certains domaines sensibles; mais la gravité de la situation, ou de la menace, et l’inquiétude qu’elle suscite dans la population appelle un examen d’ensemble de notre sécurité d’approvisionnement dans les domaines importants pour les particuliers et l’industrie, et la communication d’un résumé tous-publics montrant que les choses ont vraiment été prises en main, ce dont on peut douter aujourd’hui.

Si la Suisse ne produit pas elle-même des biens qui lui sont nécessaires, il est possible que l’importation lui donne assez de possibilités de se les procurer si les fournisseurs étrangers potentiels sont multiples. Mais si nous dépendons d’un seul pays, attention! Et si ce pays est la Chine, comme cela semble être le cas pour plusieurs importations essentielles, on ne doit pas accepter cette dépendance d’un Etat surpuissant et très capable de vouloir écraser autrui. Et même si ce pays est Taïwan, qui n’a rien d’inamical mais semble avoir le monopole de certaines puces, cette exclusivité n’est pas soutenable: qui dit que l’île courageuse ne sera pas prise dans un étau?

Il faut donc, selon les cas, s’apprêter à rapatrier des productions. Pour les médicaments dont l’acquisition est incertaine, nos grandes pharmas devraient être en mesure, techniquement, de le faire. Mais elles n’en ont pas l’envie, car il s’agit de préparations moins lucratives que celles où elles triomphent, et d’ailleurs peut-être ont-elles de bonnes raisons industrielles de concentrer ainsi leur effort de recherche. La Confédération doit donc pouvoir intervenir, pour les convaincre de se tenir prêtes, et peut-être pour les y obliger moyennant indemnité. De même pour d’autres produits essentiels que les entreprises indigènes ont délaissés. Cela aura un coût, bien sûr, mais c’est un moindre mal que les dégâts d’une pénurie. On aimerait qu’une réflexion semblable soit menée par les entreprises sur les profits et les risques de la pratique du flux tendu; les organisations économiques pourraient les y inciter.

Il est sage de se parer contre les risques importants; c’est le rôle de l’épargne des familles, des assurances dont on espère ne jamais solliciter les prestations, des règles fédérales sur la solidité des banques, de la défense militaire. Il en va de même pour notre approvisionnement, et les temps actuels montrent que le danger n’est pas théorique.

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