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L’Ecole, allers et retours entre l’idéologie et la réalité

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2227 19 mai 2023

Tout être vivant, végétal, animal ou humain, évolue, grandit, se développe, vieillit et meurt. Il ne peut le faire qu’en respectant son rythme naturel. L’homme moderne peine à se plier à cette exigence. Il est vrai qu’il lui est difficile de définir quel est son rythme juste, tant ses facultés d’adaptation, accrues par la technique, sont étendues, tant aussi il peut s’illusionner sur ses capacités de résistance et de résilience. Mais ce rythme n’en est pas moins une réalité, pour l’individu comme pour la société en général. On ne bouscule pas impunément cette horloge interne.

Forcer durablement le rythme, contraindre une personne ou la société tout entière à une évolution trop rapide, c’est rompre toutes sortes de liens discrets et profonds qui structurent la personne et rendent la vie vivable. C’est faire litière d’une accumulation d’expériences quotidiennes, sélectionnées pour leur effet bénéfique, sédimentées en habitudes positives et engendrant des comportements spontanément ordonnés au bien commun.

C’est, depuis des décennies, le cas de l’Ecole vaudoise, qui n’évolue qu’à coups brutaux de volant et d’accélérateur. Au début des années 1980, une méthode révolutionnaire de français fut imposée aux classes, après quelques mois d’une formation des maîtres aventureuse et bâclée. Le conseiller d’Etat d’alors recadra sans ménagement les nombreux enseignants sceptiques, lesquels ne purent s’appuyer sur leurs syndicats, partie prenante à la réforme. Puis il y eut «Ecole vaudoise en mutation» (EVM) en 1995. En principe, une mutation est accidentelle et unique, mais, dans l’esprit des fonctionnaires de la réforme, il devait s’agir d’une mutation permanente, qui les dispenserait une fois pour toutes du contrôle politique. On l’introduisit en hâte, dans un désordre indescriptible, en commençant non par les premières années, mais par celles du milieu, l’important étant de forcer la réalité et de rendre la réforme irréversible. En 2011, ce fut la Loi sur l’enseignement obligatoire (LEO), qui bouleversait un monde scolaire déjà fragile en supprimant d’un coup, au nom de l’égalité, l’une des trois voies de l’école obligatoire. Plus récemment, Mme Cesla Amarelle lança coup sur coup deux énormes réformes. La réforme dite «360°» visait, toujours au nom de l’égalité, à inclure les enfants handicapés dans les classes ordinaires, contraignant les enseignants à exercer un métier hautement délicat, pour lequel ils n’avaient pas été formés, tout en conservant les effectifs ordinaires alors qu’il en aurait fallu deux fois moins (ou deux fois plus d’enseignants formés). Puis il y eut, juste avant Noël 2021, une directive sournoisement discrète, qui dissimulait un véritable coup d’Etat sociétal, sur la manière de traiter les problèmes d’«identité de genre», et qui donnait aux spécialistes la priorité sur les parents.

Et nous ne parlons ni de la «transition numérique», ni du «français simplifié».

Ces procédés de hussards, typiques des idéologues qui ne s’intéressent qu’à leur système, à l’exclusion des personnes concernées, visent à mettre tout le monde devant le fait accompli, parents, élèves, enseignants et syndicats d’enseignants, parlementaires, communes, comités référendaires éventuels.

A cause de cette précipitation même, les réformateurs restent à la surface des choses, tant dans la conception que dans l’action. Leur réforme passe politiquement, mais d’innombrables rancœurs subsistent. Les habitudes qu’ils ont contrariées ne disparaissent pas. Elles continuent d’exister, d’une façon plus ou moins visible, plus ou moins chaotique. Mêlées aux nouvelles normes, elles forment un milieu hétéroclite, une sorte de tissu cicatriciel qui ne cesse d’entraver les praticiens.

Alors, au fil des ans, la pratique journalière des enseignants engendre mille petites rectifications de bon sens. Ils bouchent et rebouchent obstinément les failles, refont les liens, font rentrer les choses dans l’ordre et rendent l’école à nouveau possible. Ce retour à l’ordre des choses scandalise les réformateurs, lesquels se remettent au travail pour préparer leur prochain coup.

De fait, le retour au réel n’est jamais complet. Cette suite ininterrompue de réformes et de contre-réformes dessine tout de même une ligne générale descendante, au détriment tant des enseignants que des élèves.

L’arrivée d’un nouveau chef de l’Ecole vaudoise permettra-t-elle de redresser cette ligne générale? Le conseiller d’Etat Frédéric Borloz jouit d’une certaine liberté en ce sens que ni sa réputation ni son amour-propre ne sont engagés dans les réformes de Mme Amarelle. D’un point de vue électoral, il sait que c’est pour une part à ses réformes que celle-ci doit sa non-réélection. Enfin, en tout cas pour ce qui concerne une normalisation de l’Ecole à 360°, il pourra compter sur l’appui des syndicats, dont les sondages sur l’épuisement des troupes sont corroborés par ses propres enquêtes auprès des directeurs et des doyens.

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