Jérémiades étatistes
L’Organisation des Nations Unies chapeaute deux cent huit «Journées internationales»1. Elles sont pour l’ONU un moyen efficace d’influencer, deux jours sur trois, le calendrier journalistique mondial. Sollicités par un journaliste en mal de sujet, les intervenants du jour bénéficieront de cette onction onusienne qui transforme en vérités objectives des thèmes controversés et des orientations souvent discutables.
Ces journées rythment la vie de milliers d’associations qui organisent des ateliers et des manifestations, publient des communiqués et des vidéos. A leur tour elles s’attifent des atours de la légitimité du projet, généralement pour dépasser sur sa gauche l’agence onusienne qui le porte et reformuler le thème du jour dans leurs propres termes. Elles imposent de la sorte leurs propres conclusions militantes.
Le 10 décembre dernier, calée entre la Journée internationale de lutte contre la corruption (9 décembre) et celle de la montagne (11 décembre), a eu lieu la Journée internationale des droits de l’homme. Cette année, le 10 décembre marque tout particulièrement le 75e anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1947.
Fonctionnant comme caisse de résonance, la RTS-La Première nous a appris dans son édition du Journal de dimanche dernier que la «Plateforme des ONG suisses pour les droits humains» s’est fendue d’un communiqué pour l’occasion2. Elle y demande la mise en place d’une «stratégie nationale en faveur d’une politique des droits humains cohérente». Elle préconise la création d’un fonds fédéral en faveur des organisations privées qui surveillent la mise en œuvre des droits humains en Suisse. En éclorait une plateforme de coordination fédérale «dotée de moyens suffisants», ou à tout le moins un «service de coordination intercantonal» qui permettra de réaliser les stratégies «souhaitées par la société civile».
Une autre de ses revendications consiste à demander l’adoption au niveau fédéral d’une «loi cadre sur la protection contre la discrimination», entendons «toutes les discriminations», liées à l’âge, la pauvreté, la race, l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. Il y aurait des «lacunes à combler», dont le fédéralisme serait responsable: «Le patchwork juridique actuel ne répond pas aux standards des traités relatifs aux droits humains.»
Un troisième paquet de revendications concerne l’accès à la justice et la défense de leurs droits pour les minorités discriminées, en particulier dans le cas de supposées violences policières. La solution passerait par la mise en place d’autorités de recours indépendantes. On les présume composées d’ONG suisses de défense des droits de l’homme.
Cette plateforme prétend regrouper entre nonante et cent organisations et collectifs. Les principales se retrouvent en un «noyau dur» comptant des membres aussi variés qu’Amnesty International, Inclusion Handicap, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, la Fédération suisse des sourds, ou Public Eye. S’y adjoindrait un «cercle élargi» de plusieurs dizaines d’associations telles que Caritas, l’Eglise adventiste du 7e Jour, le Groupe pour une Suisse sans armée, la Ligue suisse des droits de l’homme, Pink Cross et Pro Natura3. Ce magma socialo-écologique proclame constituer la «Société civile».
L’égoïsme autant que l’arrogance de leurs revendications est frappant. En une forme de néo-corporatisme idéologique de gauche, elles appellent l’Etat à les financer pour leur permettre d’exercer leur rôle de gardiennes des droits humains. Investies de la vérité en la matière, ces organisations voudraient que l’Etat les paie pour le surveiller. Les voici donc à réclamer un Etat central fort, qui mettrait enfin un terme au «patchwork», rétablirait la «cohérence» au moyen d’une «coordination», tout en suivant à la lettre les recommandations de transparence et de bonne moralité de ses censeurs officiels.
De lois-cadres en centralisations découlera inexorablement un gonflement des compétences de l’Etat, en même temps qu’une opacification de son action. L’aplomb avec lequel ces organisations prétendument indépendantes réclament un financement étatique est stupéfiant. Cette contradiction témoigne d’une effrayante amnésie: les droits de l’homme, quoi qu’on puisse philosophiquement en penser, et avant eux les garanties de procédure, ont été élaborés contre l’arbitraire de l’Etat.
Ces organisations sont obnubilées par l’égalité et la liberté, affirmées au singulier. Elles justifient tous les nivellements en même temps que l’abolition des frontières et des distinctions. Que l’histoire, les mœurs et le territoire les aient lentement forgées n’y changera rien.
Aux incantations de la société civile en faveur de minorités inventées au fil des séminaires de sociologie, nous opposons la prééminence des libertés – au pluriel – cantonales, professionnelles, familiales, communales. Nous luttons pour la défense d’un terroir politique que caractérise une vraie diversité des statuts, des aptitudes, des droits, des prétentions et des responsabilités. Défendre le pays réel c’est accepter l’unité dans le particulier, pas une diversité fantasmée, noyée dans l’impossible égalité d’un universel sans saveur.
Notes:
1 https://www.un.org/fr/observances/list-days-weeks (nous les avons comptées).
2 «Pour une politique des droits humains 2023-2027 forte» https://www.humanrights.ch/fr/plateforme-ong/une-politique-droits-humains-2024-2027-forte
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Grandson au XIXe et au XXe siècles – Lionel Hort
- Archéologie et politique – Sébastien Mercier
- Disparition d’un mécène au vaste rayonnement – Yves Guignard
- † Jean-Michel Henny – Olivier Delacrétaz
- Le Regard Libre no 100 – Colin Schmutz
- Contre la violence, la force – Jacques Perrin
- Marius Borgeaud à Aigle – Antoine Rochat
- La revanche du Père Fouettard – Le Coin du Ronchon