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Libre-échange, protectionnisme et souveraineté

Benjamin Ansermet
La Nation n° 2252 3 mai 2024

D’aucuns défendent depuis quelque temps, pour la Suisse, la conclusion de différents traités de libre-échange – entre l’AELE et l’Inde récemment, ou avec l’Indonésie il y a trois ans –, pour notre économie mais aussi pour diminuer notre dépendance envers l’Union européenne.

Bien entendu, il est préférable d’avoir des relations économiques avec plusieurs pays que de dépendre uniquement d’un seul Etat. Mais, si nos relations avec les pays de l’UE nous rendent dépendants, d’autres relations avec d’autres pays nous rendent simplement dépendants de davantage de pays (et moins de chacun séparément). Plus fondamentalement, se maintenir dans la logique du libre-échange renforce-t-il la souveraineté d’un pays?

Les théories favorables au commerce international et au libre-échange, depuis Adam Smith ou David Ricardo, prônent la division internationale du travail où chaque pays se spécialise dans ce pour quoi il est le meilleur et importe le reste. Ceci permettant d’augmenter la production globale et de diminuer les prix pour les consommateurs. La logique n’est donc pas tournée vers l’autonomie des pays. Leur consommation est assurée en grande partie par des importations.

La théorie ne prend pas en compte une différence qualitative. En effet, ce n’est pas la même chose d’importer du blé et des armes (ou des masques médicaux, par exemple) que de dépendre des autres pour les jouets et les parapluies. Certaines productions sont plus importantes et offrent plus d’indépendance, ou de poids.

Par ailleurs, dans le libre-échange, la dépendance n’est pas liée qu’aux importations. Nous dépendons aussi des routes commerciales. Un bateau se coince dans le canal de Suez et tout le système se grippe, même si le canal est bien loin des consommateurs et des lieux de production.

Enfin, le poids des exportations pourrait aussi être interrogé. En effet, les pays qui importent notre production peuvent décider de limiter leurs importations, ou ne plus avoir les moyens de les acheter à cause de problèmes économiques ou autres. Dans les deux cas, nous ne pourrions plus exporter chez eux, à cause de facteurs que nous ne pourrons pas contrôler ni même influencer. Si une grande part de notre économie dépend de ces exportations, nous connaîtrons alors à notre tour de grandes difficultés.

Plus généralement, ce modèle théorique développe évidemment une grande interdépendance entre les différents pays, puisque tous ont besoin du commerce international et des productions des autres pays.

Enfin, historiquement, le libre-échange a été imposé à de nombreuses régions du monde par les puissances coloniales qui conservaient, quant à elles, une politique protectionniste1. L’occasion de mentionner aussi les analyses qui lient l’impérialisme à la division internationale et capitaliste du travail.

A l’inverse du libre-échange, le protectionnisme et la préférence nationale permettent de limiter les importations et de défendre la production intérieure. Un pays décide de produire ce dont il a besoin ou de limiter les importations stratégiques. Friedrich List avait théorisé, entre autres, l’usage du protectionnisme pour développer un nouveau secteur ou une nouvelle production. Plus largement, il est possible de développer une vision limitant les interdépendances entre les pays pour favoriser une logique d’autosuffisance nationale, pour reprendre l’expression de Keynes2, qui mettrait réellement en son cœur la défense de la souveraineté nationale et le renforcement de l’indépendance du pays.

Notes:

1   Voir la deuxième partie de Jacques Sapir, Le protectionnisme, coll. Que-sais-je, 2023, 126 p.

2   Voir La Nation n° 2227 du 19 mai 2023 ou directement son article: https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2006-3-page-7.htm

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