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Occident express 123

David Laufer
La Nation n° 2253 17 mai 2024

Pas moins de deux cents devantures de magasin sont désormais protégées à Paris, au registre des monuments historiques. Cela explique pourquoi, surtout dans les quartiers du centre, il est désormais courant de se rendre dans une BOULANGERIE où l’on vend des chaussures, ou dans une QUINCAILLERIE où l’on vous propose un café. Cela participe d’une conscience, née avec le romantisme, de la beauté de certains objets ou immeubles. Autrefois purement usuels, ceux-ci sont désormais considérés comme des témoins d’un artisanat suffisamment remarquable pour être protégé par la loi. Cela, bien sûr, ne se limite pas aux devantures. Cette passion de la conservation historique est sans limite dans la vieille Europe. A bien des égards, c’est tant mieux. On se réjouit lorsque telle ou telle bâtisse, tel ou tel comptoir en zinc ou barrière de fer forgé se font rénover, plutôt que jetés au rebut au profit de constructions strictement pratiques et, souvent hélas, sans grâce. En Serbie, on ne s’embarrasse pas – encore – de tels scrupules. Parfois même au mépris des lois, on rase gratis. Il a récemment été apporté à la connaissance du public que l’hôtel Jugoslavija, merveilleux vaisseau moderniste planté le long du Danube, lourdement touché lors des bombardements de 1999, avait été racheté en vue d’une destruction totale. A sa place, comme toujours, on verra se dresser des centres commerciaux et des hôtels. De même, l’ancien ministère de la défense yougoslave, joyaux des années cinquante, détruit aux deux tiers par des missiles américains, vient de se faire racheter par le beau-fils de Donald Trump en vue d’un projet immobilier à plusieurs milliards de dollars. Le patron de la télé privée Pink, valet servile du gouvernement, a obtenu la permission de bulldozer une élégante villa des années 1930 pour ériger en lieu et place une espèce de tarte à la crème digne de Las Vegas, cauchemar architectural sous stéroïdes. C’est bien regrettable et pourtant souvent nécessaire, quand ce n’est pas carrément vertueux. Belgrade a triplé depuis les années 1990, au terme des guerres qui ont vu les Serbes de toute la Yougoslavie converger vers elle. Pendant plusieurs années, elle a été la ville comptant le plus grand nombre de réfugiés au monde. Ses infrastructures explosaient aux jointures. Une mise à niveau complète et profonde était devenue l’urgence absolue. La capitale est ainsi devenue un chantier ouvert perpétuel. Celle que j’ai connue à mon retour, il y a dix ans exactement, n’est plus reconnaissable. En dépit de la poussière et du vacarme, je ne m’en plains pourtant pas. Car c’est un privilège de pouvoir assister à la métamorphose complète d’une grande ville européenne, de vieille et charmante qu’elle était à la mégalopole agitée qu’elle devient. D’être arrivé ici suffisamment tôt pour me souvenir de l’ancien, et d’être resté assez longtemps pour voir émerger le nouveau. Il m’arrive même, à Paris, de soupirer après les audaces haussmanniennes. Qu’il serait excitant de raser la Madeleine ou le Sacré-Cœur, les barres de Sarcelles ou le front de Seine du 14e, pour ériger à leur place des vaisseaux dignes de notre temps. Aujourd’hui ces audaces sont anathèmes. A Belgrade, elles sont encore la norme.

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