Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Gustave Doret par Antonin Scherrer

Frédéric Monnier
La Nation n° 2253 17 mai 2024

Infatigable Antonin Scherrer! On ne compte plus les ouvrages que le musicographe vaudois (par ailleurs producteur d’émissions musicales à la Radio Suisse romande – Espace 2) a rédigés sur des compositeurs ou interprètes de chez nous (Raffaele d’Alessandro, Jean Perrin, Victor Desarzens, …), des ensembles vocaux (Ensemble vocal de Lausanne, chœur Pro Arte) ou des institutions musicales (conservatoires de Lausanne, de Montreux-Vevey). Son dernier-né est consacré au compositeur vaudois Gustave Doret et il a paru aux éditions Infolio dans la petite (de format uniquement!) collection Presto. Avec bientôt cinquante titres à son actif, celle-ci est une sorte de pendant suisse romand aux célèbres Que sais-je ? des Presses universitaires de France; l’idée est d’offrir en cinquante à soixante pages, richement illustrées de surcroît et au prix de 12 francs, «la synthèse la plus efficace possible (d’où le nom de la collection) sur les sujets les plus divers, mais en visant le public le plus large possible», selon les mots de l’éditeur.

Jusqu’à présent, la seule biographie de Doret était due à la plume de Jean Dupérier, incomplète puisque publiée en 1932, soit onze ans avant le décès du compositeur. Il était donc temps qu’un ouvrage, si bref soit-il, fût consacré à celui qui a écrit tout de même la musique de deux Fêtes des Vignerons (1905 et 1927).

En moins de cinquante pages l’auteur brosse à grands traits, dans un langage clair et sans jargon, les différentes étapes de la vie du musicien vaudois1. Né à Aigle en 1866 dans un environnement musical déjà riche, Doret va poursuivre sa formation à Berlin (1885-1887), puis à Paris dès 1889 pour quatre ans d’études avec Jules Massenet; il noue dans la capitale française des liens amicaux durables avec Camille Saint-Saëns, et c’est sous sa direction (car il est aussi un bon chef d’orchestre) qu’est créé en 1894 le Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy.

De retour en Suisse, Doret se montre d’une activité débordante. Outre les deux Fêtes des Vignerons déjà évoquées, il participe, avec les frères René et Jean Morax, à la création de ce qui deviendra une institution en Pays de Vaud, le Théâtre du Jorat à Mézières, inauguré en 1908; pour la «Grange sublime», Doret écrit la musique de plusieurs drames qui seront de grands succès populaires: Henriette, Aliénor, Tell, Davel, La Servante d’Evolène… Soucieux d’encourager des liens avec la Suisse allemande, le compositeur participe à la création en 1900 à Zurich de l’Association des musiciens suisses.

Dans l’avant-dernier chapitre sont présentés quelques éléments de l’esthétique musicale de Doret telle qu’elle apparaît dans son ouvrage intitulé Pour notre indépendance musicale (1919), que Scherrer situe à juste titre «dans la veine de ce que livrera neuf ans plus tard Aloÿs Fornerod avec La Musique et le Pays2», n° 8 des cahiers Ordre et Tradition, ancêtres des Cahiers de la Renaissance vaudoise. Ses idées sont aux antipodes de celles d’un Stravinski que défend avec ardeur un certain Ernest Ansermet. Alors que ce dernier a dirigé Tell à Mézières en 1914, la relation entre les deux chefs va se détériorer: en 1921, à la suite du refus de Doret, «embourbé dans un vieux fond d’antisémitisme» précise Scherrer, d’écrire la musique pour Le Roi David, Ansermet suggère le nom d’Arthur Honegger au comité de la Grange sublime. Vexé que ce jeune compositeur marche (et avec quel succès!) sur ses plates-bandes, Doret vouera aux deux artistes une haine durable, et cette affaire envenimera même ses relations avec René Morax.

Ces zones d’ombres (quel artiste n’en a pas?) ne doivent pas occulter l’immense apport de Doret au paysage musical, choral surtout, de Suisse romande et du Pays de Vaud en particulier. Puisse l’excellent ouvrage de Scherrer être lu par les chefs de chœur et d’orchestre et les inciter à redécouvrir ce riche héritage!

Notes:

1   Le format de l’ouvrage ne s’y prêtant pas, il n’y a pas d’analyse d’œuvres.

2   C’est du reste le sous-titre donné par Scherrer à son opuscule…

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: