Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Définir la mondialisation

Vincent Hort
La Nation n° 1918 1er juillet 2011
La série que les «Entretiens du mercredi» ont consacrée à la définition de quelques grands concepts actuels s’est conclue par un exposé sur la mondialisation. A la différence du libéralisme, de la démocratie ou du fédéralisme, la mondialisation n’est pas une doctrine mais un phénomène économique, social et culturel qui a pris une ampleur extraordinaire depuis une trentaine d’années.

Cette évolution apparemment irrésistible ne résulte pas de la mise en oeuvre concertée d’une idéologie mondialiste. Celle-ci postule bien le caractère inéluctable de la mondialisation, son incompatibilité avec la structure des Etats-nations, et prétend apporter à l’humanité la paix universelle par l’instauration d’un gouvernement mondial. Le mondialisme ne constitue pas pour autant une idéologie unifiée. On le retrouve au sein de systèmes de pensées plus vastes, allant du néo-libéralisme apatride à l’internationalisme prolétarien.

Il n’en demeure pas moins que, dans un monde où le sentiment de vivre dans un «village global» est toujours plus largement répandu, la mondialisation pose un réel défi, particulièrement à ceux qui affirment la primauté d’une communauté nationale enracinée dans un espace déterminé, forgé par l’histoire et la géographie.

La mondialisation se caractérise par une interdépendance croissante des activités humaines et des systèmes économiques et politiques qui résulte de la combinaison de différents facteurs:

  • une expansion extraordinaire du commerce des biens et des services;
  • le développement formidable des technologies de l’information et de la communication,;
  • la création d’un marché financier mondial largement ouvert et peu réglementé;
  • la massification des systèmes de transport à bas coût;
  • d’importants flux migratoires transcontinentaux;
  • la diffusion et le métissage accélérés d’éléments culturels issus de populations ou de coutumes parfois très éloignées;
  • la montée en puissance d’organisations internationales actives au niveau planétaire qui constituent des lieux de concertation et de coordination, voire l’ébauche d’une gouvernance mondiale.

Même si la dimension première de la mondialisation est économique, ses conséquences en termes sociologiques, culturels et politiques sont également d’une importance majeure.

Dès l’Antiquité, l’humanité a connu des cycles d’intégration économique et culturelle sur de vastes espaces géographiques suivis par des périodes de repli. C’est à partir de la moitié du XIXe siècle que l’on peut véritablement parler de mondialisation à l’échelle planétaire, au sens où on l’entend aujourd’hui. La Première Guerre mondiale suivie de la grande Dépression de 1929 mettront un terme à cette première phase d’expansion. Les années 1930 ont été marquées par un net reflux des échanges commerciaux et une résurgence du protectionnisme.

Le mouvement actuel de mondialisation a débuté dans l’hémisphère occidental au lendemain du second conflit mondial. Les principales institutions internationales en activité actuellement ont été créées à cette époque. Ce n’est qu’en 1971 que les échanges de biens retrouvent, en proportion du PIB mondial, leur niveau de 1910. Mais c’est avec la chute du Mur de Berlin que le phénomène s’est véritablement étendu à l’ensemble de la planète. Il s’agit donc, à l’échelle de l’histoire, d’un phénomène récent.

On peut toutefois distinguer quatre «phases» dans la manière dont les opinions publiques, les médias et les scientifiques – économistes, géographes, sociologues et philosophes – ont perçu et analysé la mondialisation.

Dans un premier temps, on a vanté l’émergence d’un nouvel ordre mondial caractérisé par la victoire de l’Occident libéral sur la dictature communiste. Celle-ci entraînait avec elle l’expansion des idées démocratiques, la diffusion de la liberté, y compris en matière économique. L’effondrement du système soviétique permettait d’espérer la convergence des économies du monde entier et l’émergence d’un ordre mondial apaisé et plus juste. Francis Fukuyama pouvait alors parler de la «fin de l’Histoire». Cette espérance s’est d’ailleurs partiellement réalisée en Europe de l’Est ainsi qu’en Amérique latine et, dans une certaine mesure, en Asie.

Dans un deuxième temps, la mondialisation a suscité des mouvements de contestation, parfois radicale, pour dénoncer les excès du néo-libéralisme, la déréglementation, les délocalisations, le démantèlement social et le déficit démocratique des organismes internationaux comme l’OMC, le G8 ou le Forum de Davos. Les manifestations qui eurent lieu en marge des sommets de Seattle (1999) et de Gênes (2001) ont porté sur les fonds baptismaux le mouvement altermondialiste, héritier spirituel du gauchisme et du tiers-mondisme.

Parallèlement est apparue une critique spécifiquement environnementaliste de la mondialisation. Celle-ci a mis en évidence la dimension planétaire des phénomènes écologiques et des atteintes à l’environnement. Le débat sur les bouleversements climatiques, les craintes d’une pandémie H1N1 ou la dénonciation de l’épuisement des ressources en sont la parfaite illustration. L’accident nucléaire de Fukushima consécutif au récent tremblement de terre du Japon est venu donner comme une caution d’évidence à la thèse de l’interdépendance environnementale mondiale.

Enfin, une quatrième phase se dessine aujourd’hui après la crise financière de 2008. Celle-ci a mis en évidence la fragilité du système financier mondial et l’absence d’une régulation préventive ou correctrice. De massives interventions étatiques ont temporairement permis d’anesthésier la crise financière au prix d’une brutale aggravation de l’endettement – au demeurant préexistant – des principaux pays européens et des Etats-Unis. Cette situation a entraîné une défiance des marchés envers leurs monnaies et a consacré le basculement de l’économie mondiale vers les pays émergents créanciers, la Chine en particulier. Cette nouvelle donne ne manquera pas de modifier encore le regard que porteront à l’avenir les Occidentaux sur la mondialisation.

Il serait sans doute téméraire de prédire une prochaine conversion des opinions publiques à l’altermondialisme. Plus encore que la mondialisation elle-même, l’altermondialisme est un phénomène multiple, paradoxal et contradictoire qui s’est passablement essoufflé. Réunis autour du slogan «un autre monde est possible», les altermondialistes eux-mêmes reconnaissent qu’ils ne sont pas parvenus à définir ce que pourrait être cet «autre monde».

La poursuite du phénomène de mondialisation n’est pourtant pas inéluctable. Historiquement, on sait qu’aux phases d’expansion ont succédé des périodes de reflux. La mondialisation rencontre et rencontrera des limites qui viendront en corriger le cours. Aujourd’hui, celles-ci semblent se dessiner dans différentes directions.

Comme indiqué précédemment, la stabilité du système financier international constitue l’une des conditions nécessaires à la mondialisation. La dette abyssale des principaux pays européens et des Etats-Unis fragilise un système monétaire basé sur le dollar (et dans une moindre mesure sur l’euro) qui ne connaît pour l’instant pas d’alternative. Cette instabilité constitue un facteur clairement défavorable à la poursuite des échanges internationaux.

La concurrence des nouveaux pays émergents pour l’accès aux matières premières et la raréfaction relative des ressources se traduisent par une hausse continue des prix. Cette évolution est particulièrement sensible dans le domaine de l’énergie et notamment du pétrole. Il s’agit là aussi d’un facteur susceptible de limiter la croissance et, plus directement, de renchérir le coût des transports, donc de freiner les échanges internationaux.

La surexploitation des ressources naturelles, les scandales alimentaires à répétition ainsi que les conditions de production choquantes de certains biens importés conduisent progressivement le consommateur à une prise de conscience en faveur du commerce équitable et du «consommer local». Cette tendance devrait contribuer, avec l’échec prévisible des négociations du cycle de Doha, à limiter l’expansion du commerce international dans le domaine agricole.

D’autres oppositions se manifestent aujourd’hui en réaction aux effets négatifs de la mondialisation. Elles s’expriment, entre autres, par la réapparition de valeurs identitaires fortes, la revendication d’une souveraineté alimentaire (avant d’être politique) ou la redécouverte des vertus protectrices des frontières. Au sein des institutions internationales, la question de la gouvernance est également posée.

Avec une économie largement ouverte à l’international, le Pays de Vaud a certainement beaucoup bénéficié de la mondialisation. Il le doit notamment à des conditions cadres favorables, à des entreprises dynamiques et à une main-d’oeuvre qualifiée. Les conséquences de ce succès, notamment en termes de perspectives démographiques et de pressions sur l’immobilier, suscitent aujourd’hui une controverse sur les éventuelles limitations qu’il faudrait apporter à cette prospérité. La Nation n° 1914 du 6 mai 2011 s’est fait l’écho de ce débat qui demeure, à bien des égards, une dispute de privilégiés.

A l’échelle de la planète, la mondialisation a fait émerger de nouveaux pays en tant qu’acteurs majeurs de l’économie mondiale. Elle a permis, en deux ou trois décennies seulement, de sortir des centaines de millions d’individus d’une pauvreté dégradante. La mondialisation a également profondément modifié les structures industrielles, les flux commerciaux et la répartition des richesses. Elle conduit à un brassage rapide des populations et des cultures. Bien que toujours plus interdépendantes, les économies et les sociétés se trouvent entraînées dans une concurrence qui les soumet à une pression considérable. Dans ce contexte, un petit pays comme la Suisse n’a qu’un pouvoir d’influence limité. Il doit par contre défendre ses intérêts en préservant sa souveraineté, en faisant entendre sa voix dans les forums internationaux et en développant ses avantages spécifiques. C’est ce que l’on attend des autorités.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: