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La famille étatisée

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1958 11 janvier 2013

L’arrêté fédéral sur la politique familiale soumis le 3 mars au vote du souverain prévoit que la Confédération et les cantons prennent des mesures pour que les parents puissent concilier vie familiale et profession. Les cantons devront mettre sur pied des «structures d’accueil extrafamiliales et parascolaires». En cas de défaillance cantonale, la Confédération interviendra.

Les auteurs du Message ne se sont pas fatigués. Ils invoquent l’évolution de la société durant «ces dernières décennies», les «défis» majeurs à relever, la «mobilité» croissante, la «lacune» constitutionnelle à combler, les accords internationaux que nous avons signés, etc1. Ils soulignent aussi qu’en vertu du principe de subsidiarité (article 5a de la Constitution fédérale), la nouvelle disposition ne modifiera en rien les attributions des cantons et des communes. Cela ne les empêche pas d’affirmer quelques pages plus loin qu’«il est désormais difficile de justifier que ce domaine – il n’est du reste pas le seul – soit régi par vingt-six systèmes peu coordonnés entre eux».

Nos lecteurs apprécieront la formule «il n’est du reste pas le seul». Y a-t-il, du point de vue de ces insatiables régulateurs, un seul domaine où ce ne serait pas le cas, un seul domaine qui ne demanderait pas d’urgence une vigoureuse centralisation? Nos «représentants» à Berne ont-ils posé la question? Ont-ils seulement vu qu’il y avait une question à poser?

Sur le fond, c’est-à-dire en ce qui concerne l’aide aux familles, les cantons sont très actifs. Chacun d’entre eux l’est à sa manière, et c’est très bien ainsi. Nous ne voyons aucune raison de les faire contrôler et chapeauter par l’administration fédérale. Comme annoncé2, nous voterons non.

A part l’habituelle menace sur les souverainetés cantonales, l’arrêté et le message qui l’accompagne jettent une lumière inquiétante sur l’évolution de la conception que notre société se fait de la famille.

Il y a une trentaine d’années, le parlement, suivi par le peuple, évacuait la notion de chef de famille du droit matrimonial, mettant du même coup en cause le caractère hiérarchique de la communauté familiale. Plus récemment, il réduisait à presque rien – en attendant rien – les signes de son unité, en particulier le nom de famille et le lieu d’origine. Le mariage tend à devenir la simple association de deux individus égaux en toute chose, chacun étant libre de la dissoudre quand bon lui semble. En outre, le législateur a dilué la notion de mariage en créant le partenariat entre personnes de même sexe. Il prévoit de la diluer plus encore en accordant à ces personnes le droit d’adopter des enfants.

Ainsi, dans notre droit sinon dans la réalité, la famille perd peu à peu les caractéristiques intérieures et extérieures qui expriment sa nature et fondent son originalité.

En même temps, le même législateur multiplie les soutiens financiers de tout genre à la famille, certains justifiés, comme les réductions d’impôts par le biais du coefficient familial, d’autres justifiés eux aussi dans la mesure où ils relèvent des partenaires sociaux, comme les allocations familiales, d’autres encore qui sont discutables en eux-mêmes, comme l’assurance maternité.

Le message mentionne encore les centres de consultation en matière de grossesse ainsi que «diverses actions concourant à la protection de l’enfance et de la jeunesse ainsi qu’à l’encouragement des jeunes».

Faut-il se dire que ce soutien étatique omniprésent remplace judicieusement les liens traditionnels par la solidarité sociale? Certains le pensent, et jugent cette solidarité anonyme et réglementaire mieux garantie et plus juste que ne le sont beaucoup de relations familiales malheureuses, défaillantes ou douteuses. C’est attribuer aux canaux administratifs une clairvoyance, un souci des situations particulières et une disponibilité qui ne correspondent pas vraiment à l’expérience. D’autres jugent simplement que cette intervention étatique est un moindre mal. Nous croyons que c’est un peu court et qu’il faut réfléchir sur les conséquences de cette aide du point de vue de la liberté des familles.

Le message montre le bout de l’oreille en écrivant: «Cet écart (entre le nombre d’enfants souhaités et la réalité, réd.) est particulièrement important chez les femmes ayant une bonne formation, qui – du point de vue de l’économie nationale – doivent rester autant que possible sur le marché du travail.» Il insiste un peu plus bas: «Si les conditions ne sont pas réunies pour permettre aux femmes de concilier leur famille et leur carrière professionnelle, l’économie perd une main d’œuvre très qualifiée et indispensable.» D’un coup, la mise à disposition de crèches et la prise en charge des enfants après l’école prend une tout autre signification. Ce que l’Etat dit, c’est: «Mesdames, la société vous a offert une instruction gratuite, puis une formation supérieure presque gratuite. Vous lui devez donc d’exercer votre métier tant que vous en serez capables. Vos enfants? Pas de problème, on s’en occupe! Vous, au boulot!» C’est le début d’un enrégimentement des familles qui exhale un léger parfum de totalitarisme.

Loin donc d’offrir une compensation à l’affaiblissement du statut de la famille, la politique familiale lui porte au contraire le coup final. Privée d’un principe d’autorité interne par la suppression du chef de famille, dépouillée de son caractère exclusif par la reconnaissance d’autres formes de mariage, la famille a perdu en une génération la colonne vertébrale et la carapace grâce auxquelles elle pouvait assumer et vivre son autonomie. C’est l’Etat qui prend le relais.

 

NOTES:

1 Nous renvoyons le lecteur au Ronchon du 30 novembre dernier: «La formule magique polycentralisatrice».

2 «Des crèches fédérales?», Félicien Monnier, La Nation n° 1948 du 24 août 2012.

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