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Suivez le guide - La forteresse de l’évêque

Ernest Jomini
La Nation n° 1958 11 janvier 2013

On le nomme: Château Saint- Maire. Qu’est-ce que saint Maire a donc affaire avec notre château? Selon des sources historiques, à vrai dire très succinctes, l’évêque saint Marius ou saint Maire aurait quitté vers 590 la molle colline d’Avenches, l’ancienne capitale de l’Helvétie romaine, pour se réfugier sur la colline escarpée où les habitants de l’ancienne Lousonna s’étaient déjà retirés en ces temps troublés. Installé à Lausanne, l’évêque Marius aurait fait construire sur le site de l’actuel château une église et un monastère dédié à Saint Thyrse. On leur donna plus tard le nom de Saint- Maire. Quand on construisit le château sur ce même emplacement, on conserva pour le nouvel édifice le nom de Saint Maire. L’installation de l’évêque à la Cité est certainement un événement marquant de l’histoire lausannoise.

Jusqu’au XIVe siècle, l’évêque avait résidé dans le bâtiment proche de la cathédrale. On le nomme encore l’ancien évêché, aujourd’hui le Musée historique de Lausanne. Mais, au début du XVe siècle, l’évêque Guillaume de Challant décida de faire construire un véritable château-fort, avec fossé, pont-levis, remparts, meurtrières et mâchicoulis (le toit actuel date de l’époque bernoise). La route montant de la Barre au château était fermée par la porte Saint-Maire. Ce sera la dernière porte de Lausanne à être démolie vers 1900, au moment où l’on construisit l’Ecole de chimie et physique.

Guillaume de Challant était originaire du Val d’Aoste, où les constructions en briques rouges étaient courantes à cette époque, d’où leur utilisation à Lausanne. Ce dispositif défensif devait constituer un solide rempart contre les ennemis, les plus menaçants étant… les Lausannois. Ces précautions guerrières n’étaient pas inutiles. En octobre 1482, les bourgeois de Lausanne, en conflit quasi perpétuel avec l’évêque Benoît de Montferrand, tentèrent de s’emparer du château, saccagèrent les écuries de l’évêque, volèrent ses chevaux et pillèrent les maisons de ses officiers. Au cours de l’été 1484, ils réussirent même à s’emparer du château, en l’absence de l’évêque.

Nous ne pénétrerons pas dans le château. Dans le n° 1896 de La Nation, nous avons déjà raconté comment un groupe de gauchistes occupa un beau matin la salle du Conseil d’Etat, entraînant la fermeture du château au public. Mais évoquons la personnalité de l’avant-dernier évêque de Lausanne, Aymon de Montfalcon (ou Montfaucon). Prélat très cultivé, il fit exécuter dans la galerie du rez-de-chaussée les plus anciennes peintures style Renaissance de Suisse. Sa chambre à coucher, que l’on nomme encore aujourd’hui «la chambre de l’évêque», est remarquable par le plafond peint et par la cheminée magnifiquement décorée. C’est ici que le gouvernement vaudois a très souvent reçu les personnalités qu’il voulait honorer. Mentionnons l’ancien premier ministre britannique Winston Churchill qui, en été 1946, passait ses vacances dans une propriété au bord du lac entre Rolle et Nyon. Un autre hôte de marque du Conseil d’Etat a laissé un souvenir tangible de son passage: l’avant-dernier shah d’Iran qui fit don à l’Etat de Vaud du splendide tapis persan qu’on peut admirer sur le sol de la «chambre de l’évêque».

Comme il se doit, Aymon de Montfalcon n’a pas manqué d’inscrire à côté de ses armoiries épiscopales: Si qua fata sinant (Si les destins le permettent). L’évêque, homme de la Renaissance, n’a pas tiré sa devise de l’Ecriture Sainte, mais de l’Enéide, du grand poète latin Virgile. Nos lecteurs auront remarqué que cette devise figure à l’en-tête de La Nation, en-dessous des armoiries de la Renaissance vaudoise. Les fondateurs de notre Mouvement ont voulu d’abord rappeler le rôle éminent de la Principauté épiscopale de Lausanne dans l’histoire du Pays de Vaud, du XIe au XVIe siècle. Mais ils tenaient aussi à affirmer, comme le dit une brochure de 1941, que «les destins de la Patrie de Vaud attendent encore leur accomplissement». L’action politique durable demande du temps. Les plus jeunes de nos membres appartiennent maintenant à la quatrième génération qui s’engage, comme ses aînés, à travailler au bien commun de notre Canton. La tâche est immense. Donnant au vers de Virgile une résonance chrétienne, nous remettons ainsi l’action politique entre les mains de la divine Providence.

Voilà qui nous ramène au major Davel, dont la statue se dresse devant la façade du château. Davel a accompli ce qu’il estimait nécessaire pour l’indépendance de son pays. Mais il était aussi pleinement soumis aux desseins de la Providence. C’est pourquoi il accepta en toute sérénité l’échec et la mort. Mais son sacrifice ne fut pas vain. En 1798 et en 1803, les Vaudois se souvinrent de Davel et retrouvèrent la liberté politique dont le Major avait été le précurseur. C’est à juste titre qu’en 1898, centenaire de l’indépendance, le peuple vaudois lui érigea ce monument.

Terminons par un détail cocasse que les dames ne manquent pas de remarquer au premier coup d’œil jeté sur le monument: le nombre de boutons sur la tunique entr’ouverte du major ne correspond pas au nombre des boutonnières. Pourquoi? Un mystère historique de plus à élucider.

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