Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Histoire de la Suisse romande ou des cantons romands?

Jean-François Poudret
La Nation n° 1965 19 avril 2013

Le dernier ouvrage de l’historien fribourgeois Georges Andrey, consacré à La Suisse Romande, une histoire à nulle autre pareille a connu un succès exceptionnel et même nourri la polémique. En effet, malgré son titre très général, il se veut «une histoire, dès le moyen âge, de la formation de l’identité romande» (p. 10) ou «patrie romande», comme l’avait qualifiée l’historien vaudois Louis Vulliemin en 1835 (p. 217). Celle-ci est précisément controversée chez les historiens et les politologues, comme l’illustrent les «7 points de vue critiques» recueillis par L’Hebdo du 14 février 2013, notamment ceux de Pascal Couchepin, Martine Brunschwig Graf, pour qui «la Suisse romande n’existe pas», contrairement au «Pays romand», et Olivier Meuwly, qui relève à juste titre qu’il «n’y a pas deux cantons romands qui peuvent tant soit peu se référer à un passé commun». Ce dernier ajoute que les six cantons romands ne peuvent se défendre qu’en jouant à fond sur les mécanismes du fédéralisme suisse, qu’ils sapent d’ailleurs eux-mêmes en réclamant trop souvent une centralisation égalitaire qui ne peut que les affaiblir.

L’originalité de l’approche de Georges Andrey consiste à rattacher «l’entité romande» au réseau des combourgeoisies médiévales, auxquelles il consacre une vingtaine de pages. Ce rapprochement à première vue séduisant n’est pas convaincant. L’auteur omet un élément essentiel de la combourgeoisie, qui la distingue de la simple alliance, consistant dans la concession de tout ou partie du statut bourgeoisial aux combourgeois, condition absente des relations actuelles entre cantons romands. Et pour cause… Comme le reconnaît Georges Andrey (p. 38), les bouleversements du XVIe siècle, en particulier la Réforme, ont «démoli l’édifice des combourgeoisies».

Une telle identité commune est d’ailleurs contestée par les médiévistes en conclusion de l’ouvrage collectif consacré, en 1997, aux Pays Romands au Moyen Age. Ils n’ont en effet pas rencontré «le moindre indice qu’il y ait eu un sentiment d’identité romande, même dans les derniers siècles du Moyen Age» (p. 557). Plus récemment, dans un ouvrage intitulé De l’Helvétie romaine à la Suisse romande, le regretté Jean-Pierre Felber a cru pouvoir établir une filiation continue de la première à la seconde, sans toutefois emporter la conviction (cf. notre compte rendu critique, dans La Nation no 1817 du 17 août 2007).

Si, en l’absence de passé commun et d’institutions communes, il paraît exagéré de parler d’une identité, si ce n’est linguistique, des cantons romands, qui ont d’ailleurs acquis ce statut de cantons à des époques diverses – de 1481 à 1978 –, on ne peut nier un certain rapprochement des modes de vivre et de réagir qui s’accélère à notre époque. Il ne respecte pas toujours la frontière de la Sarine, de telle sorte que cette uniformisation se fait sentir non seulement entre cantons, mais aussi entre Suisse romande et alémanique. La concordance lors des votations fédérales résultant des statistiques rapportées par l’auteur (p. 370) le confirme, de telle sorte que l’on ne saurait en déduire un argument à l’appui d’une entité des cantons romands.

Si Georges Andrey ne nous a pas convaincu au sujet de sa thèse la plus ambitieuse, l’existence d’une entité des cantons romands, dont les racines remonteraient aux combourgeoisies médiévales, nous devons reconnaître que son livre apporte plusieurs nouveaux éclairages au sujet de l’histoire propre à chacun des cantons romands. Les deux pôles de ce volumineux (432 p.) et riche ouvrage, auquel a d’ailleurs collaboré une équipe de jeunes historiens, sont – nul ne s’en étonnera – l’entrée de Fribourg dans la Confédération en 1481 et la question jurassienne, soit le premier et le dernier des six.

Parmi les nombreux événements abordés, citons à titre exemplaire les suivants, particulièrement révélateurs:

 – p. 45-46: à la veille de l’entrée de Fribourg dans la Confédération, la population germanophone est majoritaire, mais le pouvoir est en mains francophones;

 – p. 77: à partir de 1567, moment où la Savoie récupère le Chablais…, le Léman devient un enjeu stratégique entre Berne, la Savoie et Genève, ce qui entraine la construction de galères;

 – p. 86: pour faire pièce à Louis XIV, Berne propose de créer trois nouveaux cantons, soit Neuchâtel, Genève et Bâle, proposition refusée par les cantons catholiques pour éviter de modifier l’équilibre confessionnel;

 – p. 114 à 120: l’existence éphémère en 1798 d’un canton de Sarine et Broye, avec chef-lieu à Payerne;

 – p. 123-128: en mars 1798, le général Brune projette le partage de la Suisse en trois républiques et proclame une République Rhodanique, à laquelle le Directoire substitue la République helvétique;

 – p. 131-145: en février 1798, affranchissement du Bas-Valais, projet de constitution de Mangourit, la République éphémère des Dix-Dizains et l’incorporation comme canton dans la République helvétique.

On pourrait citer beaucoup d’autres exemples de ce foisonnement d’informations, complétées par des cartes, statistiques et une esquisse de bibliographie par chapitre. Elles suffisent à montrer l’intérêt de cet ouvrage pour une meilleure connaissance de l’histoire des cantons romands, principalement au XIXe siècle. Elle ne démontre en revanche pas que ces cantons constituaient une entité commune, faute de passé commun.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: