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Les identitaires

Jacques Perrin
La Nation n° 1965 19 avril 2013

La Nation n’utilise pas l’expression «identité vaudoise». Ses rédacteurs ont-ils raison de se défier du concept d’identité pour parler des Vaudois? C’est ce que nous allons examiner.

Depuis quelques années apparaissent des groupes divers qui se qualifient eux-mêmes d’«identitaires», comme le «Bloc identitaire» en France voisine, ou les «Identitaires genevois».

Le sport révèle des identitaires qui s’ignorent. «Ici, c’est Fribourg» ou «Fiers d’être biennois» peut-on lire sur les calicots brandis dans les patinoires romandes. La choucroute du FC Sion réunit six mille personnes.

Les identitaires rassemblent des jeunes gens issus des milieux populaires, parmi lesquels un nombre respectable de filles qui craignent pour leurs libertés menacées par l’islam. Ceux qui les méprisent les appellent «petits blancs». Ces derniers ne sont certes pas des théoriciens, leurs réflexions restent sommaires. Ils se signalent plutôt par des actions spectaculaires, en France notamment, où ils se sont hissés sur le chantier de la mosquée de Poitiers en déployant une banderole «Poitiers 732». Ils se situent à la droite du Front national (FN) depuis que celui-ci s’est, selon les journalistes, «banalisé». Ils jettent sur le tapis les questions interdites, celle des races, celle de la coexistence d’ethnies diverses sur un même territoire.

Les identitaires ne revendiquent pas moins de trois identités sans qu’il leur semble nécessaire de les hiérarchiser. Ils affichent d’abord une identité «charnelle» qui renvoie à la ville (Nice, Lyon, Genève…), à la province (Alsace, Catalogne, Aveyron…) ou à la région plus ou moins déterminée (la Padanie, le Sud de la France) où ils vivent. Ensuite vient l’identité «historique» (un état européen constitué). Enfin est mentionnée l’identité «civilisationnelle», c’est-à-dire l’Europe. Ces trois identités s’imbriquent l’une dans l’autre. Tout vrai Genevois ne peut être que suisse et européen.

«Identitaires de tous les pays, unissez-vous!»: les identitaires aiment leurs frères européens. Ils organisent parfois des congrès. Le Vlams Belang et la Ligue du Nord italienne les inspirent, mais ils ne sont pas tous séparatistes. Ils affirment aussi ne pas être racistes: «100% identitaires, 0% racistes», disent les identitaires genevois. Ils n’ont rien contre les ethnies étrangères du moment où elles restent chez elles. A chaque peuple, son territoire! L’étranger extra-européen, notamment musulman, s’attire l’hostilité des identitaires s’il prétend partager un morceau de sol européen avec les autochtones. Que chacun reste chez soi et les vaches seront bien gardées! Ni impérialistes, ni assimilateurs, les identitaires souhaitent vivre en paix sur leur terre. L’islam conquérant est leur ennemi principal. On ignore quel serait le sort des musulmans européens (Albanais, Bosniaques) ou celui des descendants des harkis. En matière de religion, l’attitude des identitaires balance entre mépris, tolérance et indifférence, on ne sait trop. Certains s’affichent comme chrétiens, d’autres penchent pour le paganisme.

Les identitaires détestent tous les processus qui altèrent l’image qu’un peuple se fait de lui-même. La mondialisation, le métissage, l’islamisation et l’américanisation leur répugnent. Aussi les identitaires se sentent-ils proches de l’écologie. Il faut éviter que des changements brutaux affectent la nature ou la culture. La biodiversité et les écosystèmes leur tiennent autant à cœur que les paysages familiers et la diversité ethnique. Les identitaires genevois s’opposent au bétonnage.

La conception identitaire de l’économie préconise le protectionnisme, l’autarcie alimentaire; elle s’oppose aux délocalisations, à la concurrence salariale faussée, à la domination de la finance internationale, voire à la société de consommation. Les identitaires mettent en avant la solidarité «de proximité»: «Aidons les nôtres avant les autres!»

Leurs méthodes de combat sont «modernes». Adeptes des «réseaux», ils se démènent sur internet, multipliant blogs et sites d’information (comme Novopress ou le remarquable et très fréquenté FdeSouche). Ils créent le «buzz», font parler d’eux, respectent les diverses «sensibilités» dans leurs rangs, sont à l’affût du «signal fort». Dans la rue, ils aident les «sans domicile fixe» de souche qu’ils régalent de soupes identitaires ou d’apéros (avec vin rouge, lard et saucisson!). Ils ont aussi leurs bonnes œuvres internationales, soutenant par exemple les Serbes du Kosovo. Ne constituant aucun parti, ils ne se présentent aux élections (comme à Nice où ils ont obtenu des résultats) que pour se faire connaître. La vie politique démocratique ne les charme pas; équipés d’un bric-à-brac romantico-médiéval ou antique de blasons, d’étendards et de logos, ils préfèrent l’action «culturelle» ciblée, contre le rap anti-blanc, entre autres.

Malgré leur intention affichée de ne pas hiérarchiser les identités, les identitaires, hostiles à toute immigration extra-européenne, pensent que l’appartenance à la civilisation de l’Europe blanche est le trait distinctif essentiel. Un Européen étranger établi provisoirement à Genève (un «expat») est plus au goût des identitaires genevois que le fils naturalisé d’un Éthiopien chrétien, apprenti dans une banque locale. «Plutôt des frontaliers savoisiens que des requérants somaliens!» disent-ils aussi. Les identitaires genevois sont d’ailleurs plus suisses que genevois. Ils aiment l’institution militaire, la démocratie directe, le fédéralisme et la subsidiarité, sans en avoir une compréhension politique bien claire.

Les identitaires en général provoquent une agitation infrapolitique, réactive et défensive. Ils sont comme des bêtes gardant leur territoire. Ils ne se reconnaissent pas dans un environnement ethnique mouvant qu’ils ressentent comme une menace. Nous comprenons cette réaction angoissée face aux injonctions de mobilité et de métissage que les médias lancent à tout bout de champ. L’animalité de l’homme compte aussi. «On est chez nous» proclament des affiches du Front national qui ne manque pas de «rebondir» sur les protestations identitaires.

De notre point de vue, le plus épais brouillard persiste cependant autour de la notion d’identité. Que signifie être genevois, niçois, aveyronnais, alsacien? Comment se reconnaître dans une «Ligue du Sud» (ou du «Nord»)? Qu’est-ce que «l’Europe de la puissance de Dublin à l’Oural»? Le fédéralisme à trois étages est-il possible? Qu’entendre par «subsidiarité»? Qu’en est-il de la politique dans ce combat vital et désordonné? Il faudra remettre l’ouvrage sur le métier; nous n’avons pas encore répondu à la question que nous posions en tête d’article!

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