Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La justice, émanation des partis?

Jean-François Cavin
La Nation n° 1967 17 mai 2013

Le débat sur le mode de désignation des juges cantonaux vaudois a été relancé par un recours à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Un ressortissant des Balkans, accusé à tort de viol, a subi 288 jours de prison préventive et a donc eu droit à une indemnité; il s’est vu allouer 72000 francs en première instance; l’affaire a été portée devant la cour d’appel du Tribunal cantonal, qui se trouvait placée sous la présidence d’une dame-juge membre de l’UDC; l’avocat du justiciable a demandé sa récusation, cette appartenance n’offrant pas à un étranger, déjà condamné pour autre chose, la garantie d’un traitement équitable et indépendant de la cause. Refus de la présidente, confirmé par le Tribunal cantonal et par le Tribunal fédéral, pour qui «seules des circonstances exceptionnelles peuvent donner à penser que le juge pourrait subir une influence de la formation politique à laquelle il appartient». On sait que les juges de Mon- Repos sont aussi présentés par les partis… Strasbourg jugera.

Du côté de la magistrature comme du côté de l’UDC (et d’autres partis), on affirme que les juges, bien que proposés par les partis, savent prendre le recul nécessaire et ne reçoivent pas de consignes. L’avocat du Balkanique en doute: «Quand il s’agit d’être réélu et qu’on risque de voir sauter un salaire de plus de 15000 francs par mois, j’ai peine à imaginer que la forme de ces relations ne joue aucun rôle.»

Être impartial et relever d’un parti? Les mots déjà disent combien la situation est problématique, même si les juges savent généralement rester sereins. Suzette Sandoz, dans un de ses articles parus dans la NZZ am Sonntag et rassemblés en un intéressant volume1, approuve cette pratique selon le raisonnement suivant: les lois laissent souvent un large pouvoir d’appréciation au juge, à qui revient même le soin de combler d’éventuelles lacunes du droit; le juge ne peut alors faire abstraction de sa philosophie de la vie; autant donc qu’elle soit affichée grâce à l’appartenance à un parti, pour que le justiciable sache qui le jugera et aussi pour favoriser une certaine diversité des opinions au sein des tribunaux.

Marcel Regamey était d’un autre avis: «Je pense au contraire que les juges devraient dépouiller toute idéologie en prenant leurs fonctions. La connaissance des hommes et la compréhension de leurs difficultés n’a rien à voir avec la Weltanschauung d’intellectuels. Le justiciable attend du juge d’abord l’impartialité, ensuite une attitude humaine. Ces qualités ne dépendent en rien de l’appartenance politique. Il y a des libéraux affables et des socialistes gourmés. Il existe même une dame-juge popiste, impartiale et tout à fait charmante2

Mise à part la question de l’impartialité, la présentation obligatoire des juges supérieurs par les partis présente divers inconvénients. Les partis sont parfois dépourvus de candidats capables, et l’on a vu l’élection au Tribunal fédéral comme au Tribunal cantonal de personnes qui n’y avaient pas leur place. L’inverse est tout aussi fâcheux: des magistrats de première instance, chevronnés, compétents et sages, se voient fermer l’accès au Tribunal cantonal à cause de leur refus d’adhérer à un parti. D’autres ont accepté de passer sous ces fourches caudines, parfois bien peu de temps avant l’élection; un distingué homme de plume bellettrien s’est ainsi soudain révélé agrarien: poète et paysan! Même surprise à propos d’une dame qui arbora les couleurs de l’UDC en même temps qu’elle devint juge fédérale. Et que dire de l’obligation faite aux heureux élus de verser une partie non négligeable de leur traitement à la caisse du parti, le souci d’une représentation équitable des opinions politiques faisant place à celui d’un partage du gâteau selon les règles de la proportionnelle?

Pour pallier les risques majeurs de cette mainmise partisane sur la justice, La Nation a proposé dès les années 1930 que les juges cantonaux soient cooptés, sous réserve de ratification par le Grand Conseil; puis dans les années 1970 qu’une commission permanente soit chargée de la présentation des candidats au parlement; cette commission serait composée de quatre membres du Grand Conseil élus pour la durée de la législature, du président du Tribunal cantonal, du procureur général et du bâtonnier3.

L’idée a fait son chemin puisque la Constitution vaudoise dispose désormais que les juges cantonaux et leurs suppléants sont élus par le Grand Conseil sur préavis d’une commission de présentation désignée par le parlement et «composée de députés et d’experts indépendants».

Mais, selon la loi sur le Grand Conseil, cette commission est formée de neuf députés, pour que le moindre groupe y ait sa place, et de quatre experts «indépendants», où l’on trouve notamment M. Jean Jacques Schwaab – avocat certes, mais indépendant de son parti? Les commissaires hors partis sont en proportion trop faibles par rapport aux politiques, et n’ont d’ailleurs qu’une voix consultative, ce que la Constitution ne prévoit nullement.

Des ajustements devraient donc être opérés: une diminution du nombre des commissaires; l’accession à la commission des hautes personnalités du monde judiciaire mentionnées plus haut, d’office et avec voix délibérative; et l’adoption d’une nouvelle pratique qui se dégagerait de la présentation quasi nécessaire par les états-majors des partis et permettrait de reconnaître les mérites de candidats indépendants, ce qui romprait occasionnellement avec l’usage détestable de la vénalité des charges judiciaires.

Notes:

1 Suzette Sandoz, Une voix claire dans la foule, Le juge et son étiquette politique, pp. 29-30, éd. Cabédita, 2013.

2 La Nation, no 1030, 18 juin 1977.

3 La Nation, no 1074, 24 février 1979.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: