Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Du propriétaire au patriote

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1968 31 mai 2013

On a reproché aux propriétaires immobiliers qui invoquent l’autonomie cantonale contre l’initiative Weber ou la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire d’«instrumentaliser» le fédéralisme à des fins personnelles. Ce reproche n’est pas forcément infondé, reconnaissons-le. Mais reconnaissons aussi qu’on peut l’adresser à la quasi-totalité des citoyens suisses, qui n’invoquent en général les vertus du fédéralisme que lorsqu’une loi fédérale menace leurs finances, leur idéologie ou leurs convictions morales.

Il y aurait autant de raisons, d’ailleurs, et des meilleures, de blâmer ceux qui font étalage de leurs convictions fédéralistes mais en font litière chaque fois qu’ils peuvent contourner d’éventuels obstacles cantonaux en passant par l’administration fédérale.

Un conseiller d’État est toujours plus sensible aux méfaits de la centralisation quand celle-ci le dépossède d’une partie de ses pouvoirs. Le conseiller d’État Maillard est très fédéraliste quand Berne lui marche sur les pieds, son collègue Broulis ne l’est pas moins en matière fiscale.

Faut-il le leur reprocher, ou se contenter d’un fédéralisme à éclipse, jugeant que ça vaut mieux que pas de fédéralisme du tout, et avec l’espoir qu’ils finiront même par apprécier le charme séculaire de la souveraineté cantonale? Ce fédéralisme intermittent relève souvent moins de la déloyauté intellectuelle que d’une capacité insuffisante d’imagination: il n’est pas toujours facile de se représenter concrètement la portée et les effets d’une nouvelle loi. Ça l’est forcément davantage quand le sujet nous touche de près.

On pense ordinairement qu’il n’y a de propriété qu’immobilière. C’est une conception trop étriquée. La propriété, le mot le dit, c’est tout ce que nous avons en propre, tout ce sur quoi nous exerçons une maîtrise personnelle. Immobilière ou mobilière, matérielle ou immatérielle, la propriété est le terrain spécifique de l’exercice de la liberté. En ce sens, toute atteinte à la propriété est une agression contre le propriétaire, qu’elle diminue dans son avoir et dans son être.

Les propriétaires fonciers sont en général plus sensibles et réactifs que les autres aux restrictions de leurs droits. Lors de la campagne contre la première loi sur l’aménagement du territoire, les combattants les plus engagés et les plus intraitables furent les paysans et les associations de propriétaires immobiliers.

C’est peut-être dû au fait que l’atteinte à la propriété foncière est la plus directement et la plus évidemment spoliatrice. Et c’est d’autant plus le cas quand la compétence passe au niveau fédéral, ce qui rend la spoliation à peu près irréversible.

Pensons aussi que posséder en propre un bout de territoire, si exigu soit-il, c’est satisfaire à ce désir élémentaire d’être maître du lieu où l’on vit avec sa famille. Ce souci de maîtriser personnellement une parcelle de sol est une forme de souci politique. Le mot de patrie, «terre des pères», montre bien la connexion entre les deux. Dans les régimes traditionnels, le pouvoir politique avait un fondement familial, patrimonial. Il était lui aussi héréditaire.

Il y a donc une analogie très forte, je dirais même une communauté de nature entre la libre disposition de son bien et la souveraineté politique, entre la protection de la propriété immobilière et la défense de l’autonomie législative cantonale.

Mais pour que cette analogie ne sonne pas creux, il faut que le propriétaire agisse dans la reconnaissance de deux faits sociaux essentiels. Ces deux faits apparaîtront aux yeux d’un libéral comme des réductions du droit de la propriété, comme des restrictions de type moral portées de l’extérieur. En réalité, ils font partie intégrante de la définition de la propriété immobilière. Ils lui donnent sa pleine expression.

Le premier est que la propriété immobilière n’est pas individuelle mais familiale. Le propriétaire du moment l’a reçue en prêt. Il est tenu, autant que c’est possible, de la transmettre à ses héritiers après l’avoir reçue de la génération précédente. Ce statut de gérant provisoire lui permet d’en user, mais pas d’en abuser, de la laisser en friche, par exemple, ou de la brader pour des motifs spéculatifs à court terme.

Le second fait est que cette propriété familiale est elle-même une partie du territoire sur lequel vit la communauté nationale. Ajoutée aux autres propriétés, elle constitue le support inaliénable d’un peuple, avec son histoire et ses traditions, ses institutions et ses lois. Elle en porte d’ailleurs les marques, notamment dans le domaine architectural.

Ainsi, la propriété foncière impose au propriétaire une solidarité nationale qui s’ajoute à la solidarité familiale et intergénérationnelle.

En d’autres termes, le propriétaire foncier a des raisons impérieuses d’observer une attitude fédéraliste non seulement en matière de propriété privée, mais en toute chose, à l’exception des rares domaines qu’il est absolument nécessaire de confier à la Confédération.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: