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Obligation de servir: la gauche oublie ses fondamentaux!

Félicien Monnier
La Nation n° 1968 31 mai 2013

La gauche suisse est farouchement antimilitariste. Les résultats des votes, sur l’obligation de servir, des députés à l’Assemblée fédérale sont indiscutables. La gauche, extrême, verte ou socialiste, est favorable en bloc à l’abrogation de l’obligation de servir. A peine constate-t-on trois abstentions notables, dont celle de M. Eric Voruz.

Mais la gauche ne s’est-elle pas de la sorte tirée une cartouche dans le pied? C’est ce que considère M. Adrien Fontanellaz, membre du Parti socialiste et historien militaire amateur très éclairé. Il a couché ses réflexions sur le site de Domaine Public le 25 avril dernier1.

Tout le monde s’accorde pour considérer que le succès de l’initiative du GSsA mènerait à moyen terme à une professionnalisation de notre armée. M. Fontanellaz entreprend donc de démontrer combien une armée professionnelle en Suisse est contradictoire avec deux conceptions fondamentales de la gauche. Nous ne pouvons que relever la grande pertinence des remarques que M. Fontanellaz adresse à ses camarades de parti et déclarer être d’accord avec celles-ci.

En premier lieu, M. Fontanellaz dénonce la privatisation de l’usage de la force publique que provoque toute professionnalisation des forces armées.

[…] En effet, la professionnalisation d’une armée engendre inévitablement, principalement pour des raisons de coût, un recentrage vers son cœur de métier; l’entraînement aux missions de combat, et, en corollaire, une externalisation de plus en plus étendue des fonctions de soutien, pourtant indispensables au fonctionnement de l’institution. De nos jours, ce phénomène a atteint de telles proportions aux États- Unis que l’US Army serait par exemple incapable d’entrer en campagne sans une noria de sociétés (contractors) se répartissant de juteux contrats. Si l’exemple américain est extrême, cette logique est bel et bien à l’œuvre dans de nombreux autres pays, à commencer par la France et le Royaume-Uni. In fine, cette évolution débouche sur un véritable droit de veto octroyé par les États au secteur privé quant à l’usage de la force armée.

La défense est une tâche régalienne de l’État – en Suisse de la Confédération. La transférer à des entités privées est une incohérence institutionnelle grave.

M. Fontanellaz dénonce dans un deuxième temps le fait qu’une armée professionnelle trouve sa base de recrutement dans les couches les plus défavorisées de la population, et montre du doigt l’hypocrisie politique que cela implique.

[…] Bref, professionnaliser une armée permet aux femmes et aux hommes politiques d’un pays d’entrer en guerre tout en limitant l’impopularité de leur décision, seule une petite fraction, en général politiquement peu active, de la population en subissant les conséquences les plus meurtrières. En effet, sociologiquement, un des principaux viviers de recrutement de militaires professionnels réside dans les classes sociales les plus pauvres. Ce point est peu contestable et il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que rares seraient les universitaires souhaitant s’engager comme simples soldats de métier à l’issue de leurs études.

S’il est bien sûr faux de dire qu’une armée professionnelle est en elle-même plus belligène qu’une armée de conscription, le coût en politique intérieure de son engagement dans des opérations lointaines est grandement abaissé, car les soldats tués, traumatisés et handicapés au cours de celles-ci proviennent plutôt des segments défavorisés de la société. […]

La conclusion de M. Fontanellaz est sans appel. Selon lui, en cas d’acceptation de l’initiative, la gauche suisse – PS et Verts compris – portera le fardeau d’une lourde responsabilité institutionnelle et humaine.

[…] La gauche aura alors initié l’avènement d’une armée professionnelle, débouchant inévitablement sur une privatisation partielle du monopole de la violence détenu par l’État tout en abaissant le coût politique d’une participation à des actions armées, et en reportant le coût humain de ces dernières sur les populations les plus économiquement fragiles du pays: soit, en d’autres termes, à faire payer le plus atroce des impôts que puisse lever une collectivité, celui du sang, aux membres les plus démunis de celle-ci.

Dans son article, M. Fontanellaz ne s’en prend pas aux fondements de l’antimilitarisme de la gauche helvétique. Il les expose sans porter de véritable jugement. Il parvient néanmoins à faire apparaître en filigrane la tension historique entre l’internationalisme pacifique et égalitaire, qui voit dans l’armée le bras de la bourgeoisie et le lieu de reproduction des inégalités sociales, et la simple nécessité de défendre la nation dont l’indépendance est indispensable à la réalisation du socialisme. Nos socialistes se souviennent- ils de Jaurès et de son Armée nouvelle en 1905? Dans les suites de l’Affaire Dreyfus, Jaurès proposait pour la France une organisation militaire calquée sur la Suisse.

Le GSsA – allié au PS et aux Verts – veut l’abolition de l’armée suisse. Comme le relève M. Fontanellaz, il est prêt à passer par la case «armée professionnelle» pour atteindre son but. Il fait donc fi des moyens pour se concentrer sur sa seule fin, avec les risques mis en lumière. Privilégier de manière absolue la fin sur les moyens est l’une des caractéristiques de l’idéologie; la gauche devrait le savoir depuis Camus. Nous voterons NON à l’initiative pour l’abolition de l’obligation de servir. Et nous invitons les membres des mouvements de gauche à méditer sur l’armée de milice.

Notes:

1 Fontanellaz Adrien, «Les effets secondaires de l’initiative du GSsA, La suppression de l’obligation de servir éloignerait l’armée du contrôle démocratique», Domaine public, 25 avril 2013.

www.domainepublic.ch/articles/23341.

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