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Suivez le guide - La Cathédrale pour des gens pressés

Ernest Jomini
La Nation n° 1968 31 mai 2013

«Je fais une visite guidée gratuite

A deux mètres à l’intérieur de la Cathédrale, nous interpellons les visiteurs qui pénètrent dans le sanctuaire, en accentuant bien le dernier mot destiné à faire dresser l’oreille des gens.

«Je fais une visite…»! Dix fois, vingt fois peut-être, jusqu’à ce qu’un ou des visiteurs s’arrêtent, intéressés par notre offre.

«Combien de temps est-ce que ça dure?

– Trois quarts d’heure.

– D’accord, on vous suit.»

Mais il y a tous ceux qui s’exclament:

«Trois quarts d’heure! On n’a pas le temps, on est pressé.

– Alors, de combien de temps disposez- vous?»

La réponse varie: dix ou vingt minutes, voire une demi-heure. Invariablement nous leur déclarons:

«La visite durera donc ce que vous voulez. Quand vous devrez partir ou quand vous en aurez assez, vous nous quitterez, tout simplement.»

A nous, guides, de savoir intéresser nos visiteurs de telle façon qu’ils nous suivent jusqu’au bout dans notre tour de la Cathédrale. Nous aurons aussi l’occasion de racoler au passage des visiteurs qui tendent l’oreille, se rapprochent, puis se joignent à nous. Combien de fois, partis à deux, nous sommes-nous trouvés une quinzaine à la fin de la visite! Mais c’est vrai que nos contemporains sont pressés. On voit fréquemment des touristes entrer dans la Cathédrale, faire une ou deux photos et repartir au bout de trois minutes.

Une visite de trois quarts d’heure, c’est bien court. Quelle prétention de vouloir présenter notre Cathédrale en si peu de temps! Quand on pense aux nombreux ouvrages, solidement documentés et magnifiquement illustrés, qui ont été publiés sur notre grand monument national vaudois, on se dit que les guides devraient être à la fois archéologues, historiens, architectes, peintres-verriers et théologiens pour présenter convenablement notre Cathédrale. Nos lecteurs sont donc avertis: nous n’avons pas d’autres prétentions que d’attirer leur attention sur quelques aspects, liés à l’histoire ou à l’architecture, du monument le plus admirable du Pays de Vaud.

La Cathédrale actuelle, construite entre 1170 et 1275, est vraisemblablement le quatrième édifice élevé sur cet emplacement. Les fouilles archéologiques ont permis de retrouver quelques traces d’une construction réalisée autour de l’an 600. N’est-ce pas à cette époque que saint Marius est venu d’Avenches à Lausanne? Vers 800, à l’époque de Charlemagne, une nouvelle église est construite. Aux environs de l’an mil, l’évêque Henri de Bourgogne fait édifier une nouvelle et plus grande cathédrale de style roman. Enfin une plus grande encore, en style gothique: c’est notre Cathédrale actuelle. S’il a fallu une centaine d’années pour construire cet édifice, il faut mentionner que deux incendies, en 1219, puis en 1235, vinrent anéantir une partie du bâtiment en construction.

Les fidèles du XIIIe siècle, qui venaient nombreux pour vénérer Notre-Dame de Lausanne et recourir à son intercession, ne trouvaient ni porche sculpté ni porte à l’entrée de la Cathédrale. Comme nous l’avons déjà signalé dans un précédent article, les portes se trouvaient plus loin à l’intérieur de l’édifice.

Dès que nous avons passé la porte actuelle, nous nous trouvons accueillis par trois statues: en haut, au centre, la Vierge Marie portant l’enfant Jésus; en dessous d’elle, à gauche, le roi Salomon, constructeur du Temple de Jérusalem; à droite la reine de Saba qui, selon l’Écriture Sainte, était venue à Jérusalem admirer l’œuvre de Salomon. Le sens théologique est clair. La Vierge Marie est la figure de l’Église, le nouveau peuple de Dieu, qui réunit en son sein les croyants issus de l’ancien peuple de Dieu (Israël) et des nations autrefois païennes appelées à connaître la Lumière du Christ.

«Ah! Mais les femmes n’ont plus ni têtes, ni mains!» s’exclament les visiteurs. En effet: la proclamation de l’Édit de réformation promulgué par LL.EE. de Berne en octobre 1536 fut suivie d’une journée de pillage et de destruction. Certains supposent que ces dames portaient des bijoux autour du cou et des poignets. La façon la plus rapide de voler, c’était de casser. Salomon, lui, ne portant pas de bijoux est resté indemne. Ce n’est pas d’aujourd’hui, Mesdames, qu’il est dangereux de porter des bijoux: on risque de se les faire arracher!

Avançons maintenant de trois ou quatre mètres: sur notre droite, nous découvrons des restes de la peinture qui décorait la Cathédrale au XIIIe siècle. Nous pouvons imaginer combien l’édifice entièrement peint devait être splendide. Au XVIe siècle, toute la Cathédrale fut passée à la peinture grise. Était-ce le goût de l’époque? Ou bien ces couleurs vives paraissaient-elles peu compatibles avec l’austérité du culte protestant où rien ne devait distraire le regard et troubler l’audition attentive de la Parole de Dieu? Au début du XXe siècle, on gratta la peinture grise pour retrouver, là où c’était possible, la peinture médiévale ou sinon la pierre.

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