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«Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre»

Charlotte MonnierLa page littéraire
La Nation n° 1997 11 juillet 2014

... ou l’antithèse des Ombres du métis de Sébastien Meier

C’est l’histoire de deux mecs. Le premier est flic, l’autre est métis. Le premier est en prison, l’autre est mort, et l’homosexualité, leur point commun.

Le maître de leur sort s’appelle Sébastien Meier, il est né en 1988, il est vaudois et correspond en toute modestie à l’écrivain du Canton dont nous avions tous viscéralement besoin depuis la mort de Jacques Chessex. En effet, à l’heure où Joël Dicker déçoit les chroniques étasuniennes, Sébastien Meier déchaîne les nôtres. Fondateur des éditions Paulette en 2009, puis du collectif des arts de la scène «Collectif fin de Moi», ce n’est peut-être pas la première fois que vous entendez son nom. En revanche, c’est peut-être la première fois que vous entendrez parler de lui en termes d’écrivain. Car c’est bel et bien à un écrivain que nous confronte l’ouvrage intitulé Les Ombres du métis publié en avril dernier1.

Assassiné, violé, torturé, martyrisé, on a retrouvé le corps inanimé de Romain Baptiste, jeune artiste métis au regard divin et au visage ensorceleur, dans les bois de Sauvabelin, le 4 février dernier. Commence alors pour l’inspecteur de la police municipale de Lausanne, Paul Bréguet, une enquête qui prendra très vite la tournure d’une magistrale descente aux enfers. Soupçonné d’être l’assassin de la victime sur laquelle il enquêtait, il est incarcéré à Lausanne, à la prison de Bois-Mermet, en face du stade de la Pontaise. Là-bas, il fait la rencontre improbable du pasteur Manuel, à qui il va se livrer corps et âme et dangereusement mais jamais assez, ni sainement. Le récit nous rapporte alors leurs entretiens dans l’aumônerie de la prison mais aussi les réflexions personnelles du pasteur, qui ne peut se résoudre à l’idée d’être tout à fait «innocent» face à cet ancien flic au discours contradictoire et franchement suspect. Nous disions plus haut que c’était l’histoire de deux mecs. Mais les acteurs de cette histoire, remplie par autant d’amour que de sordidité, sont en réalité bien plus nombreux. Ils sont au moins autant qu’il y a de coupables, fût-ce de très loin.

Plongé au cœur d’un Lausanne qu’il n’avait jamais connu sous un angle aussi infâme et scélérat, le lecteur interroge alors l’omniprésence du pasteur Manuel et son incessante volonté de comprendre «– Mais la grande question est précisément là, pasteur, s’indigne le prisonnier: pourquoi chercher à comprendre, puisque comprendre n’est ni justifier, ni pardonner?»

Page après page, on perd le fil et on ne sait plus qui parle, qui écoute, qui sait ni qui comprend. On se demande seulement pourquoi. Et puis au trois quart du livre, on lit cette tirade hystérique de Paul Bréguet au pasteur qui se termine par ces mots: «C’est pas vrai, je vous mens. C’est plus compliqué, vous saisissez? […] La folie, c’est la vérité.» Et alors là on est parfaitement paumé. On s’accroche à son livre comme on prendrait sa tête entre ses mains, pour éviter de la perdre, pour ne pas devenir fou.

Pourtant, l’entendement, Paul en sait quelque chose. Il sait que seul Dieu peut encore faire preuve d’entendement après tout ce qui lui est arrivé. «Dieu, peut-être, était capable d’aimer encore après ça. Dieu Lui seul.»

A l’instar du pasteur qui s’acharne à comprendre, Paul s’acharne à croire. Il doute et s’interroge, certes, mais il croit. Strictement aucune de ses entrevues avec le pasteur ne saurait remettre en question la foi et l’amour saint dont Paul est fort et animé. Il croit. Ou aimerait croire? «– Non, vous ne voulez pas croire, lui répond le pasteur Manuel. Vous avez besoin de croire, c’est très différent. Vous espérez Dieu comme une réponse. Il se cache dans les questions. Vous voulez une révélation? Vous voulez un but? Ce n’est pas Dieu. Dieu est le chemin, mon fils. N’oubliez jamais ça.» On est donc très loin de l’athéisme primaire et confortable du héros moderne des thrillers contemporains. Et Dieu, merci.

Enfin, c’est tout simplement un très grand roman policier que vient de nous livrer Sébastien Meier et nous l’en félicitons. Ecrivain à vingt-six ans, il trempe sa plume dans un encrier rouge sang mais la gratte sur un papier à cigarette, aussi fin que délicat, subtil et vulnérable. Il nous agace, nous poursuit, nous empêche de dormir et, comble du lecteur lausannois, il nous promène dans notre propre ville et notre propre Canton tel un vulgaire touriste ignorant. Il brouille nos pistes et, au final, se paie aussi un peu notre tête, certes… Mais en définitive, c’est bien l’amour sincère qu’il voue à son Pays, qui lui insuffle le désir d’en faire le théâtre de sa passion, l’écriture, et les scènes de crime de ses fictions.

Quoi qu’il en soit, si un écrivain n’est bon que lorsqu’il est seul à tirer sur les ficelles des marionnettes qu’il fait de nous, alors Sébastien Meier est un très grand écrivain. Avec un sens de la formule certain et fort d’un humour subtil, il dresse tantôt le portrait d’un «homosexuel qui ment tellement bien qu’il aurait convaincu un jury d’homophobes», tantôt celui d’un homme ivre à un point tel qu’il «ne reconnaîtrait pas un pétrolier sur le Léman» ou encore celui d’un psy capable de ne diagnostiquer que «C’est une dépression, Monsieur, parlez-moi de votre mère.» Vous avez du retard sur vos séminaires, mémoires, articles et autres ouvrages? Vous en aurez encore plus.

 

Notes:

1 Sébastien Meier, Les Ombres du métis, éditions Zoé, Genève, 2014.

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