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De l’anticipation à la prophétie: Kriegspiel 2014

Lionel Hort
La Nation n° 1997 11 juillet 2014

Espoirs offerts par le début du nouveau millénaire et commémorations militaires aidant, les récits d’anticipation ont le vent en poupe. On peut classer ces récits dans deux grandes catégories, l’une pessimiste et l’autre optimiste. Le critère déterminant est alors le désir des auteurs de voir ou non leurs prédictions se réaliser.

La première catégorie est ainsi catastrophiste et vise à mettre en garde un public contre la survenue imminente de graves dangers. De manière générale, ce public peut être un cercle confidentiel en ce qui concerne les théories du complot, ou l’humanité entière quand il s’agit d’économie ou d’écologie. On retrouve dans cette catégorie aussi bien des écologistes dénonçant le changement climatique que les fameux whistleblower1 qui militent contre des évolutions sociales jugées liberticides et imputées aux gouvernements et aux multinationales. Quoique commençant à dater, l’œuvre emblématique de cette tendance est sans nul doute 1984 de l’écrivain anglais Georges Orwell.

La seconde catégorie concerne des récits d’anticipation à caractère optimiste, les œuvres de ce type ayant souvent une valeur plus programmatique que descriptive. Le politicien français Jacques Attali est par exemple devenu célèbre pour ses essais ayant à la fois comme objectif de rendre le public attentif à certains défis de l’avenir, et de proposer des voies de salut. Il décrit ainsi, dans Une brève histoire de l’avenir2, la voie pavée de dangers et de bonnes intentions menant à la démocratie planétaire.

En tenant compte de cette distinction, le dernier roman de Laurent Schang intitulé Kriegspiel 20143 est un étonnant mélange des deux catégories. Si l’histoire qui y est contée semble de premier abord appartenir à la catégorie pessimiste, elle est indéniablement à ranger dans la catégorie optimiste lorsque l’on parvient à sa conclusion.

Comme son titre le laisse deviner, le roman met en scène le déclenchement d’un conflit mondial dans les derniers jours de l’année 2014, et narre ses rebondissements jusqu’au retour de la paix. Si l’éventualité d’une nouvelle guerre mondiale est à nouveau un thème récurrent aux réflexions stratégiques les plus sérieuses et aux récits de prospectives depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’œuvre de M. Schang se démarque autant par son style narratif inhabituel que par le récit lui-même et la conclusion surprenante à laquelle il arrive. A ce style particulier s’ajoute l’impression déconcertante laissée par un changement constant de ton, passant de l’ironie enjouée à la froide précision scientifique.

Du point de vue de la forme, le roman se présente comme un assemblage de textes hétéroclites suivant un certain ordre chronologique, mais changeant régulièrement de points de vue narratifs et géographiques. Au fil de la trentaine de chapitres, on découvre ainsi un faisceau détonnant de petites histoires qui s’entremêlent, entrecoupées d’informations factuelles telles que des cartes de l’Ukraine et des diagrammes techniques d’avions de chasse. Parmi les différents modes narratifs, on lira par exemple un rapport d’un agent de la CIA en Asie, des comptes-rendus stratégiques, une interview du nouvel Empereur des Européens, le très réel Ferdinand Zvonimir de Habsbourg-Lorraine, et on terminera par un poème dédié à… Vladimir Poutine.

Du point de vue du contenu, le roman commence par des opérations militaires impliquant les forces armées russes, et se poursuit sans transition par l’escalade militaire entre Chinois et Japonais en Mer de Chine. Après une série de rebondissements se déroulant sur toute la planète et principalement sur le continent eurasiatique, la paix revient. La face du monde s’en retrouve alors profondément déformée, avec entre autre la réorganisation de l’Union européenne en une puissance impériale. La description du nouvel ordre mondial issu de ce dénouement inattendu possède indéniablement un caractère optimiste pour l’auteur. Il montre en effet que la nouvelle configuration géopolitique qu’il prévoit pour les régions d’Europe et d’Asie est la seule propre à assurer la sécurité et la stabilité du grand continent, entre autre sur le très conflictuel plan de la politique énergétique. De nos jours, tout le monde peut d’ailleurs constater les instabilités chroniques dont souffrent ces régions et que M. Schang place à l’origine de sa troisième guerre mondiale.

De par ces caractéristiques particulières, Kriegspiel 2014 est un roman d’anticipation passionnant, lu en une soirée, dont la trame haletante est parsemée de perles qui plairont tant aux lecteurs de Blake & Mortimer qu’aux férus d’informations géopolitiques et stratégiques de premier ordre. Oscillant entre fiction et réalité, entre espoir et mise en garde, il faut encore mentionner que, dramatiquement, les épisodes récents en Ukraine et en Crimée ainsi que l’évolution des options militaires russes et américaines suivent pour l’instant les tendances prévues par l’auteur. Il ne reste plus qu’à espérer que Laurent Schang se soit trompé sur l’éventualité, ou l’ampleur, d’une guerre, mais pas sur l’avenir providentiel d’un président russe et d’un jeune autrichien.

Notes:

1 Lanceur d’alerte.

2 Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006.

3 Laurent Schang, Kriegspiel 2014, Le Retour aux sources, 2013, 153 pages, 2e éd.

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