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L’agriculture est-elle une denrée constitutionnelle?

Jean-Michel Henny
La Nation n° 1997 11 juillet 2014

En 1947, après la guerre et les efforts des paysans pour produire des denrées alimentaires en suffisance grâce au Plan Wahlen, le peuple et les cantons ont ancré dans la Constitution fédérale un article de soutien à l’agriculture. La Confédération était appelée à soutenir massivement cette branche de l’économie.

Durant les décennies qui ont suivi, le soutien a été important. Le lait était acheté à prix et quantités garantis, tout comme le blé. Les importations de produits concurrents étaient sérieusement limitées. Cela n’a pas empêché la disparition de nombreuses exploitations; mais c’était au profit de domaines plus grands et mieux équipés.

Lorsque la Confédération a signé les Accords de Marrakech de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), elle a dû abandonner la plupart des restrictions à l’importation. Celles-ci ont été remplacées par des paiements directs. Ainsi, la baisse des prix était compensée par des aides tenant compte de la surface exploitée et des modes de production. D’emblée, les paiements directs ont eu pour objectif de limiter les quantités produites en incitant les agriculteurs à favoriser la qualité et à œuvrer dans le respect de l’environnement. Au fil du temps, ces incitations se sont faites de plus en plus pressantes et les montants alloués à ce type de paiement direct de plus en plus élevés. Mais, grâce au progrès technique (sélection des variétés et méthodes de culture), la production n’a pas diminué.

L’actuelle Constitution fédérale donne encore pleins pouvoirs à la Confédération pour soutenir l’agriculture. L’article 104 l’invite à promouvoir une agriculture répondant «aux exigences du développement durable et à celles du marché» pour pouvoir contribuer substantiellement à la sécurité de l’approvisionnement de la population, notamment.

Depuis peu, la notion de souveraineté alimentaire est à la mode. On semble découvrir ce qu’est la sécurité alimentaire. Au début de la Seconde Guerre Mondiale, le conseiller fédéral Wahlen l’avait pourtant mise en œuvre de façon concrète et efficace.

Il y a quelques mois, l’Union Suisse des Paysans (USP) a lancé une initiative constitutionnelle «Pour la sécurité alimentaire». Il s’agirait d’introduire dans la Constitution un nouvel article 104a. Il faut le dire d’emblée, ce texte n’apporterait rien de neuf. Tout ce qu’il propose figure déjà à l’article 104 actuel. Mais la mode fait son œuvre et l’USP est une machine performante. En quelques semaines, les 100 000 signatures ont été récoltées. La démarche fédère les paysans suisses, attire l’attention sur la nécessité de préserver les terres agricoles et met en évidence quelques personnalités du monde agricole, au Parlement fédéral et ailleurs. Pour utiliser une expression triviale: elle ne mange pas de foin. Elle n’octroie en tous les cas aucune compétence nouvelle à la Confédération.

L’USP a donné des idées aux écologistes. Les Verts suisses viennent de lancer leur propre initiative intitulée «Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques». Ce nouvel article 104a n’apporterait rien non plus à l’arsenal constitutionnel existant. Il serait en partie inapplicable. Comment réglementer l’importation de produits agricoles qui doivent être «issus du commerce équitable et d’exploitation paysanne cultivant le sol»? Il est déjà difficile de définir ces notions en Suisse; comment le faire pour des producteurs australiens, guatémaltèques ou américains?

Mais ce n’est pas tout.

Uniterre, l’organisation contestatrice de paysans en rébellion contre le système et l’USP, va lancer durant l’été sa propre initiative constitutionnelle. Elle serait peut-être plus incisive mais n’apportera probablement rien de plus au système en place puisque la Confédération a déjà compétence discrétionnaire aujourd’hui sur le plan constitutionnel.

La souveraineté alimentaire est essentielle. Un peuple affamé ne peut se défendre. La Confédération est équipée sur le plan juridique pour veiller à optimiser la production agricole suisse. Mais il faut que le Parlement prenne les décisions qui vont dans ce sens. Les paiements directs doivent aussi amener les paysans à produire des aliments et non seulement à protéger l’environnement et le paysage. Lors de la votation du dernier crédit de la Politique agricole 2014-2017, on est allé à la fois vers un renforcement de la souveraineté alimentaire et vers un accroissement des injonctions environnementales. Un peu à gauche, un peu à droite. Cela a toujours été le dilemme de la politique agricole helvétique. On veut des «petits paysans» labourant 10 hectares avec les bœufs de la Fête des vignerons, mais produisant au prix des céréaliculteurs argentins qui cultivent 1000 hectares de blé sur des terres qui ne coûtent presque rien.

Ce n’est pas une initiative constitutionnelle, d’où qu’elle vienne, qui résoudra le dilemme.

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