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Une initiative antisuisse

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1882 12 février 2010
L'initiative pour l'élection du Conseil fédéral par le peuple1 a été lancée il y a quelques jours par l'Union démocratique du centre. L'idée n’est pas originale, comme on le verra en page 3 où nous avons reproduit les considérations pertinentes d’un fort ancien article de La Nation. Le texte de l'UDC prévoit une élection selon le système majoritaire à deux tours, le premier à la majorité absolue2, le second à la majorité simple. Il n'y aura qu’une seule circonscription électorale.

Cette initiative est sans doute la plus inutile et la plus dangereuse de toutes les initiatives inutiles et dangereuses que les grands partis lancent ces jours pour se «profiler», comme ils disent, en vue des élections.

Notre critique principale est que cette initiative renforce dramatiquement l’évolution générale d’une Suisse fédérale, au sein de laquelle des Etats cantonaux divers vivent en bonne intelligence, vers une Suisse centralisée et divisée en groupes linguistiques antagonistes.

Le fédéralisme unit tout en distinguant tandis que l’ethnisme oppose tout en mélangeant. Dans une perspective fédéraliste, le plus petit des cantons est un Etat souverain au même titre que le plus grand. Dans les domaines où la Confédération n’est pas compétente, ce canton n’est pas une minorité, mais un Etat autonome qui a les moyens de résister aux pressions de ses voisins et de la Confédération elle-même.

En revanche, le groupe linguistique ne jouit comme tel d’aucune autonomie et d’aucune capacité de défense institutionnelle. Dès lors, les relations entre les divers groupes linguistiques sont de nature purement quantitative: même sans mauvaises intentions, je dirais même malgré d’éventuelles bonnes intentions, le groupe le plus nombreux ne peut qu’étendre sa domination au détriment des autres. On le voit avec l’importance écrasante qu’est en train de prendre la langue allemande dans l’administration fédérale. Et le groupe le moins nombreux n’a aucun moyen de s’imposer, il ne peut que gémir, comme on le voit avec la bavarde et pitoyable impuissance d’Helvetia latina.

Toute centralisation remplace un équilibre pacifique entre des cantons égaux par des conflits programmés entre une majorité qui s’impose par la seule force de la gravité et des minorités sans défense et pleines de rancoeurs.

Le système actuel d’élection du Conseil fédéral par le parlement tient certes compte de la répartition linguistique. Mais c’est un facteur parmi d’autres dans une composition complexe et souvent obscure d’intérêts, d’idéologies et de crainte des excès. L’Assemblée respecte les provenances linguistiques dans la perspective de l’équilibre fédéral à long terme, mais les conseillers fédéraux francophones ou italophones ne sont pas considérés comme des représentants de leur groupe linguistique. Ils le seraient avec le système proposé.

Ordinairement, les atteintes au fédéralisme se font par transfert de compétences à la Berne fédérale. L’initiative innove. Elle centralise en imposant un arrondissement électoral unique pour toute la Suisse, comme si la Suisse était un Etat unitaire. La portée symbolique de cette nouveauté est considérable. Sa portée politique ne l’est pas moins, notamment en ce qu’elle encouragera les politiciens désireux de remplacer les institutions cantonales par des institutions romandes et en ce qu’elle poussera les partis à centraliser davantage tant leurs programmes que leur organisation.

Selon l’alinéa 5 de l’initiative, «le Conseil fédéral doit être composé d’au moins deux citoyens domiciliés dans les cantons du Tessin, de Vaud, de Neuchâtel, de Genève ou du Jura, dans les régions francophones du canton de Berne, de Fribourg ou du Valais ou dans les régions italophones du canton des Grisons.»

On nous propose ici un système de quota qui, comme tous les systèmes de quota, inspire la méfiance quant aux compétences réelles de ses bénéficiaires. Ce sera particulièrement le cas quand un candidat francophone ou italophone ayant obtenu moins de voix que son concurrent suisse alémanique sera néanmoins élu à sa place pour satisfaire aux conditions de l’alinéa 5. Même excellent, il apparaîtra comme un élu de deuxième choix, comme le handicapé politique qui aura eu besoin d’un coup de pouce du jury pour passer.

On aura remarqué que l’alinéa 5 ne mentionne pas la Suisse allemande, mais seulement les autres groupes linguistiques. Ceci aussi est révélateur. Pour bon nombre de nos Confédérés, la vraie Suisse, c’est la Suisse allemande. La présence des cantons francophones et du Tessin dans la Confédération résulte d’une erreur de casting politique dont ils s’accommodent tant bien que mal.

Les représentants de l’UDC des cantons romands n’étaient pas très favorables à l’initiative. Il ne sont d’ailleurs que trois sur vingt-quatre dans le comité d’initiative. C’est encore trois de trop. On regrette que ces politiciens n’aient pas perçu à quel point le système les dévalorise, eux et leur canton. Et, par voie de conséquence directe, à quel point l’initiative fait du tort à la Confédération.

Car c’est là le plus étrange: comment se fait-il que le parti qui se veut le parti par excellence de la Suisse traditionnelle patronne un texte aussi révolutionnaire que l’initiative pour la suppression de l’armée?

Et si les tares de l’initiative sautent aux yeux, c’est en vain qu’on en cherche les avantages pour la Confédération. Selon l’argumentaire de l’UDC3, il s’agirait d’introduire «des règles transparentes et équitables» et de permettre aux «personnalités profilées» (suivez mon regard) d’accéder au Conseil fédéral. En clair, le nouveau système privilégiera le tribun par rapport à l’apparatchik ou, en termes plus crus, le démagogue par rapport au magouilleur. Nous ne voyons pas le progrès.

Nous avions dit à l’époque tout le mal que nous pensions de l’éviction de M. Blocher. Mais on ne doit tout de même pas lancer une initiative pour le venger! Nous recommandons à nos lecteurs de ne pas signer cette initiative et de le faire savoir à leurs amis.

 

NOTES:

1) Art. 175 al. 2 à 7 (nouveaux) de la Constitution (à quoi s’ajoute la modification des articles 136 al. 2 et 168 al. 1 Cst., transférant la compétence électorale de l’Assemblée fédérale au «peuple» suisse).

2) La «majorité absolue» prévue par l’initiative n’est pas la moitié des voix plus une, mais le résultat du calcul suivant: on divise la totalité des suffrages exprimés par sept; on divise le résultat par deux; et on arrondit à l’unité supérieure. L’artifice mathématique qui consiste à incorporer les voix éparses au calcul abaisse les conditions de la majorité absolue. Domaine Public calcule qu’un tiers des votes pourrait suffire (www.domainepublic.ch/files/articles/ html/10293.shtml).

3) www.election-populaire.ch

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