Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Jouer son rôle

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1883 26 février 2010
A l’époque où je fréquentais le collège, on était promu ou non en classe supérieure en fonction des résultats de l’année, notes, moyennes par discipline et moyenne générale. Pour les échecs d’extrême justesse, on faisait passer l’élève conditionnellement. Au bout de six mois, l’élève conservait sa promotion s’il avait la moyenne, sinon il retombait dans la classe inférieure. Le mécanisme était implacable, quelles que fussent les conséquences sur la vie personnelle de l’élève. Il en allait de même pour le certificat. La conférence des maîtres de Béthusy avait refusé d’accorder un demi point à l’un de mes condisciples de dernière année. Comme il redoublait son année, cela voulait dire que le certificat lui échappait définitivement1. J’entends encore notre maître de classe, Roger Déglon dit «Soupape», lui dire les yeux dans les yeux, avec un ricanement légèrement triomphant et devant tous ses condisciples: «Tu n’avais droit à rien, mmmh…, pas même à ça (il tenait l’extrême bout de son pouce entre le majeur et l’index), tu devais mmmh… (sa main coupait l’air horizontalement) passer franc!…» Le cher «Soupape» ne péchait certes pas par excès d’empathie.

Aujourd’hui, on est passé à l’autre extrême. En fin d’année, les conférences des maîtres, en particulier dans les gymnases, se penchent interminablement sur le cas d’élèves en situation d’échec, non seulement pour quelques centièmes, mais pour deux voire trois points, parfois dans les branches fondamentales.

La raison principale est qu’ils craignent de commettre une injustice et veulent recourir à une évaluation plus fine, objective et personnalisée que celle des chiffres, qu’ils estiment sommaire et quelquefois arbitraire. Autres motifs: une crainte excessive face aux effets d’un redoublement, la croyance que l’échec est dû moins à l’élève qu’à la pédagogie utilisée et qu’il n’est pas juste de l’en rendre responsable, l’ennui de devoir défendre une décision désagréable face à des parents plus désagréables encore.

On examine longuement la situation familiale de l’élève en sursis, l’influence de son entourage, les événements dramatiques qui l’ont affecté au cours de l’année. On essaye d’imaginer les conséquences psychologiques et professionnelles d’un redoublement. On s’efforce de toucher au fond des choses et de la personne.

Ce souci de justice est honorable, mais il y a trop de facteurs cachés dans les plis et replis de l’histoire personnelle de l’élève. Et que savons-nous de sa capacité de rebondir après l’échec, de sa résistance à la déception, de sa faculté de tirer un bien d’un mal? A l’inverse, quel peut être l’effet psychologique d’une promotion injustifiée? Qui saurait en juger, à part Dieu le Père?

On reste dans le flou. Dès lors, et partant du principe discutable qu’en cas de doute, il vaut mieux promouvoir que recaler, on va chercher non plus l’impossible évaluation exacte, mais un motif ou un prétexte de promotion. Et à force de chercher, on finit par trouver. Des enseignants nous ont rapporté qu’un élève a été promu parce qu’il avait trouvé un apprentissage pour l’année d’après et que, n’est-ce pas, on ne pouvait pas le priver de cette «opportunité», un autre parce qu’il avait révélé des dons pianistiques particuliers, un troisième parce qu’il avait été profondément marqué par la perte d’un ami.

L’élève en échec est ainsi promu pour des motifs périphériques, voire dépourvus de toute pertinence. A court terme, on est soulagé d’avoir évité une injustice éventuelle… et des confrontations certaines. Mais en profondeur, on est insatisfait, parce que c’est une décision hypocrite qui évacue sans le dire les critères proprement scolaires.

On peut adopter deux attitudes. La première est de poursuivre dans la voie du déni de l’échec: réduire l’ampleur des programmes, abaisser les exigences, monter sournoisement les notes durant l’année. Cette tendance culmine avec la proposition de Mme Lyon de rendre la promotion automatique par suppression du redoublement.

On peut aussi revenir à la réalité. Que le maître se contente de jouer son rôle. Qu’il enseigne, qu’il évalue, qu’il revendique sa compétence en matière de méthode, mais qu’il ne prétende pas aller au-delà et intervenir directement dans le destin de son élève: il n’est pas la Providence, et la conférence des maîtres non plus. Un échec scolaire peut certes constituer une véritable catastrophe pour celui-ci et ses proches. Mais cela n’a aucun sens d’y obvier par une promotion mensongère.


NOTES:

1 Ce camarade, troisième d’une fratrie de cancres qui défraya la chronique de l’établissement, fit par la suite un apprentissage de mécanicien sur auto. L’histoire ne dit pas qu’il fut malheureux d’arrêter là son inutile périple scolaire.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: