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Sans papiers sans travail

Olivier Klunge
La Nation n° 1883 26 février 2010
La population vaudoise a été sensibilisée récemment par quelques médias et politiciens locaux au problème de jeunes «sans papiers» ne pouvant trouver de place d’apprentissage après la fin de leur scolarité suivie en Suisse. La Municipalité lausannoise a même annoncé, le 17 février dernier, son intention d’offrir des places à ces jeunes.

Qui sont-ils?

Les «sans papiers» sont des personnes qui, après être entrées en Suisse avec un visa de tourisme, une demande d’asile ou tout simplement sans visa, y séjournent illégalement. Généralement, ces personnes travaillent, le plus souvent dans des métiers peu qualifiés. Le nombre des personnes concernées, du fait de leur statut clandestin, est l’objet d’estimations très diverses et invérifiables. Les autorités suisses pratiquent une politique pragmatique à leur égard. Par exemple, une femme clandestine recevra des soins et pourra accoucher dans nos hôpitaux; ses enfants pourront étudier dans nos écoles; elle pourra déposer plainte pour violences conjugales sans immédiatement se retrouver dans un avion.

Les «sans papiers» sont des personnes qui n’ont aucun droit à vivre et travailler en Suisse. Cela parce que la Suisse pratique une politique d’immigration choisie. Les étrangers sont rangés en deux catégories (politique dite des deux cercles): d’une part les ressortissants d’Etats membres de l’Union européenne (avec quelques réserves pour les nouveaux membres) et de l’Association européenne de libre-échange (AELE) et, d’autre part, tous les autres (y compris les Américains ou les Australiens). Les ressortissants européens bénéficient des accords de libre circulation (ALCP) et peuvent librement s’établir en Suisse pour autant qu’ils jouissent d’un travail rémunéré aux conditions du marché helvétique ou de moyens suffisants pour ne pas tomber à l’assistance.

Pour les autres, outre les étudiants et les personnes recevant l’asile pour des motifs politiques, la Suisse n’accepte que les personnes sans activité lucrative jouissant de liens avec la Suisse et de moyens financiers les mettant largement à l’abri du besoin, ainsi que les travailleurs très spécialisés ou occupant des positions dirigeantes. Une demande de permis de travail pour ces derniers est soumise à pas moins de trois autorités cantonales et fédérales et doit être solidement argumentée. Le salaire offert doit être en rapport avec la grande qualité alléguée de ces profils. Par contre, point de permis pour la femme de ménage philippine, le maçon albanais ou la couturière chinoise.

Une politique migratoire juste?

Les milieux de défense des «sans papiers» et une grande partie des politiciens de gauche estiment, sous réserve de précautions oratoires, que la Suisse devrait accueillir tout être humain cherchant une vie meilleure chez elle et que toute restriction migratoire est une restriction injuste, car contraire aux droits de l’homme. Nous estimons que la responsabilité du gouvernement fédéral n’est pas de soulager les misères du monde, mais de défendre les intérêts de la Confédération. Or, un petit pays densément peuplé ne peut offrir sans autre du travail à toute personne désireuse d’y immigrer. Une arrivée incontrôlée de travailleurs apporterait une pression sur les salaires (déjà perceptible dans certains métiers) touchant en priorité ceux que la gauche prétend défendre.

Il est donc légitime et nécessaire pour la Suisse de restreindre l’immigration et de le faire selon les besoins de son économie. A noter cependant que si la prospérité économique est une des composantes importantes du bien commun, elle n’en est pas la valeur ultime, et que le gouvernement doit aussi tenir compte, dans sa politique migratoire, d’autres éléments: stabilité sociale, capacité d’intégration des nouveaux venus et d’accueil de la communauté, effets sur les relations diplomatiques…

Dans ce cadre, il nous semble que la politique migratoire helvétique, si elle est globalement opportune, devrait tenir compte des besoins importants de l’économie en main-d’oeuvre pas ou peu qualifiée pour des métiers auxquels les Suisses ne s’intéressent que très peu. Par idéologie «droit-de-l’hommiste», le permis de saisonnier a été supprimé alors que les Européens ne s’intéressent plus à venir faire le ménage ou récolter du tabac chez nous. Cette inadéquation entre la politique migratoire officielle et les besoins réels de l’économie crée un appel d’air pour des travailleurs clandestins occupant des postes que des patrons ne peuvent pourvoir par des travailleurs «au blanc».

Régulariser les clandestins?

Il y a donc en Suisse des familles qui n’ont aucun droit d’y rester mais dont les parents travaillent et dont les enfants, parfois même nés ici, vont à l’école. Cela étant, quelle réponse y apporter? Une régularisation (soit l’octroi d’un permis de séjour et de travail) en masse de ces personnes serait la plus mauvaise solution. On ne peut pas à la fois édicter des règles migratoires et les abolir justement pour ceux qui les ont violées. On ne donne pas un permis de conduire à tous les automobilistes prouvant qu’ils roulent depuis plus de dix ans sans permis. De plus, une régularisation générale est un message totalement contradictoire adressé à tous les candidats à l’immigration et à tous les employeurs qui font l’effort de se soumettre aux procédures de demande de permis. Une telle mesure, appliquée une fois, appelle sa répétition.

La solution doit donc être recherchée dans des mesures ciblées. Ce n’est pas la tâche des écoles ou des hôpitaux de faire appliquer les lois et l’on comprend qu’il est difficile de refuser de soigner un malade ou d’instruire un enfant. Cela reste cependant une tolérance et ne peut en aucun cas créer un droit. Le principe demeure: les personnes sans permis de séjour doivent quitter le territoire. La police et les autorités doivent poursuivre les personnes en situation irrégulière.

Toute loi, par le fait qu’elle applique des règles générales et abstraites à des cas concrets, peut apporter une rigueur excessive dans des situations particulières. Cette rigueur injuste doit être corrigée en équité. Nos autorités entrent ainsi en matière, au cas par cas, et dans le cadre d’une procédure longue et minutieuse, sur des demandes d’exception aux conditions d’octroi de permis pour des personnes particulièrement bien intégrées et indépendantes financièrement. Cette politique discrète et nuancée est sans doute la moins mauvaise réponse à cette situation humainement difficile.

Des apprentis sans papiers

L’agitation politique et médiatique autour de la question des jeunes clandestins qui ont suivi tout ou partie de leur scolarité en Suisse et ne peuvent trouver d’apprentissage est détestable, car elle cherche avec mauvaise foi à culpabiliser les citoyens. Que se passera- t-il avec ces jeunes à la fin de leur apprentissage? Les agitateurs demanderont- ils à ces jeunes travailleurs de retourner dans leur pays d’origine? Non, ils invoqueront alors le droit au travail!

Sur un plan strictement juridique, il faut admettre que la tolérance dont ces jeunes «sans papiers» ont bénéficié pour suivre leur scolarité ne saurait fonder aucun droit quelconque. Ce n’est pas parce que je me gare tous les jours sur une place à parcmètre sans payer pendant cinq ans, que j’ai le droit ensuite à ce qu’elle me soit réservée gratuitement. Cela même si, à l’une ou l’autre reprise, un contractuel bienveillant a renoncé à m’amender.

De plus, un apprentissage est une activité rémunérée. Tout employeur a l’obligation légale (LEtr 91) de vérifier que les personnes qu’il emploie disposent des autorisations nécessaires. Il serait discriminatoire envers les travailleurs se soumettant aux procédures de demande de permis de voir des clandestins être embauchés sans autre.

A cet égard, la déclaration du syndic Daniel Brélaz dans 24 heures prétendant qu’il suffirait de ne pas payer ces apprentis clandestins est fausse: l’alinéa 2 de la loi sur les étrangers (LEtr) prévoit qu’est considérée comme activité lucrative toute activité salariée ou indépendante qui procure normalement un gain, même si elle est exercée gratuitement. L’article de l’Ordonnance (OASA) y inclut expressément le contrat d’apprentissage. Au passage, drôle de morale du syndic de Lausanne qui veut employer des clandestins pour des tâches normalement rémunérées, mais gratuitement du fait de leur statut. Un employeur privé serait accusé de pratiquer la traite d’êtres humains…

Surtout, la décision de la Municipalité lausannoise d’embaucher des «sans papiers» est parfaitement illégale. Si une autorité estime qu’une loi est mauvaise, elle en propose le changement si c’est de son ressort ou saisit l’autorité compétente. En aucun cas, elle ne peut choisir les lois qu’elle applique! La réaction de certains députés demandant le dépôt d’une initiative cantonale devant les Chambres fédérales est juste formellement, le coup médiatique politicard de Lausanne, non.

D’ailleurs, la LEtr prévoit à son article 117: Quiconque, intentionnellement, emploie un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse ou a recours, en Suisse, à une prestation de services transfrontaliers d’une personne qui n’a pas l’autorisation requise est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire. Dans les cas graves, la peine sera une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire est également prononcée.

Les contribuables lausannois devront- ils payer les amendes ou la Ville de Lausanne est-elle un employeur au-dessus des lois? Chaque municipal est-il prêt à passer jusqu’à trois ans sous les verrous pour avoir intentionnellement et de manière répétée engagé des apprentis clandestins?

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