Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Les espaces fonctionnels

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1895 13 août 2010
L’ouvrage La Suisse demain1, de M. Pierre-Alain Rumley, déjà évoqué dans La Nation il y a quelques semaines, traite du remodelage territorial et institutionnel de la Suisse. L’auteur juge cette opération nécessaire du fait qu’aujourd’hui, principalement à cause des progrès techniques, les territoires des Etats cantonaux ne se superposent plus aux «périmètres pertinents». En d’autres termes, les territoires sur lesquels se posent désormais les grands problèmes sociaux et environnementaux dépassent généralement les frontières traditionnelles.

Les cantons, conscients de cette évolution, recourent depuis longtemps à la collaboration intercantonale. Ils ont conclu de nombreux accords sur mesure.

Selon M. Rumley, ce système de concordats est trop compliqué et trop opaque; il engendre des décisions échappant aux législatifs cantonaux et par conséquent au référendum populaire; il est coûteux en temps et en argent; enfin, il freine la croissance.

Pour lui, les nécessités concrètes nous imposeront tôt ou tard la mise à jour des structures helvétiques. Pour contribuer à la réflexion, il nous propose divers scénarios. Nous avons choisi de parler du scénario qui est à la fois le plus conforme à ses perspectives et le plus inacceptable à nos yeux.

Aux territoires des Etats cantonaux actuels, M. Rumley propose de substituer des «espaces fonctionnels», par quoi il entend des territoires multiples, chacun correspondant aux exigences techniques et financières de tel ou tel domaine: un territoire pour la planification hospitalière, un autre pour la promotion économique, un troisième pour la formation, et ainsi de suite.

M. Rumley ne s’embarrasse pas de circonlocutions. Sous le titre «Centralisation», il propose de transférer la totalité des compétences cantonales à la Confédération. Celle-ci planifierait l’ensemble de la politique fédérale. Ensuite, elle décentraliserait par délégation de compétences exécutives ciblées à chaque organe responsable d’un espace fonctionnel.

M. Rumley reprend ici l’idée des régions modulables chère à Denis de Rougemont, qu’il cite en conclusion de son essai. On se souvient que l’écrivain neuchâtelois rejetait le principe même de l’Etat-nation, le jugeant impérialiste à l’extérieur et caporaliste à l’intérieur. Il lui opposait l’empire universel, ou à tout le moins européen, gérant d’une façon décentralisée des régions à géométrie variable.

L’auteur, c’est là sa faiblesse, n’envisage dans son analyse que des espaces fonctionnels liés à des domaines particuliers: la santé, l’économie, l’aménagement du territoire, l’université, la police, etc. Il ne voit apparemment pas que l’Etat-nation constitue lui aussi un espace fonctionnel. L’Etat-nation est l’espace fonctionnel de la communauté politique comme telle, l’espace fonctionnel du pouvoir pondéré par les usages, l’espace de la durée, où se conjuguent la géographie et l’histoire.

L’Etat-nation, c’est aussi l’espace fonctionnel de la personne en tant qu’elle est une unité, un centre existant par lui-même, quelque chose de plus que l’intersection d’une série de fonctions particulières. L’Etat-nation, c’est l’espace fonctionnel de l’homme pris dans sa totalité concrète, à la fois individuel, familial, social et religieux.

Le constat liminaire de M. Rumley est partiellement fondé. Même s’il gonfle pour les besoins de la démonstration les problèmes posés par notre structure fédéraliste et les accords intercantonaux, la situation était effectivement plus simple et satisfaisante quand les Etats cantonaux et les espaces fonctionnels se recouvraient à peu près. La situation actuelle, un peu chaotique et pas toujours très saisissable, résulte du heurt entre la rapidité du progrès technique et les résistances vitales de la population.

Mais ce n’est pas parce que certains faits nous compliquent la tâche qu’il faut les nier. Le fait technique n’est pas contestable. Mais le fait communautaire existe lui aussi, moins précis, sans doute, mais profondément ancré dans les personnes et les moeurs.

Malgré sa lourdeur et ses obscurités, le système actuel, qui donne la primauté aux institutions plutôt qu’aux problèmes, permet de jouir des avantages de la technique tout en respectant notre réalité communautaire.


NOTES:

1 Pierre-Alain Rumley, La Suisse de demain – De nouveaux territoires romands, un nouveau canton du Jura: Utopie ou réalité?, Presses du Belvédère, Lausanne 2010.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: