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Le trésor oublié du Château Saint-Maire

Claire-Marie LomenechLa page littéraire
La Nation n° 1895 13 août 2010
Qui connaît seulement l’existence des peintures du Château Saint-Maire, excepté le privilégié qui a déjà entrouvert les portes de l’antre du pouvoir exécutif cantonal?

Lorsque l’on visite ce château médiéval, il n’est question ni de salle des chevaliers ni de cachot. Construit au début du quinzième siècle pour offrir plus de confort et de sécurité aux évêques lausannois que ne l’offrait l’évêché (contre les Lausannois eux-mêmes, pour des raisons d’autonomie communale!), cet édifice fut principalement décoré par Aymon de Montfalcon, évêque de 1491 à 1517. On peut lire d’ailleurs en plusieurs endroits sa devise Si qua fata sinant, tirée de Virgile et reprise plus tard par notre journal. Lors d’une recherche effectuée dans le cadre du Centre d’études médiévales et post-médiévales de l’Université de Lausanne, nous nous sommes penchée sur cet étonnant programme iconographique, étonnant non seulement parce qu’unique, mais parce qu’il réserve au texte littéraire une place rare.

Deux oeuvres poétiques sont reproduites et illustrées l’une en face de l’autre dans le couloir du rez-de-chaussée: la lecture commence par les «Enseignes» des Douze Dames de Rhétoriques de Georges Chastelain (1463), poète et chroniqueur à la cour de Bourgogne, auprès de Philippe le Bon; on lit ensuite du côté sud le Bréviaire des Nobles d’Alain Chartier (1425), qui fut poète mais aussi diplomate auprès de Charles VI et Charles VII pendant la Guerre de Cent Ans. La première oeuvre – composée de poèmes en trois strophes – fait l’apologie d’un art poétique médiéval maîtrisé, dialogue entre la nature, Dieu et le poète. La deuxième, à vocation didactique – largement plus diffusée – rappelle à la noblesse ses devoirs devant Dieu et les hommes. De la réunion de ces deux textes émane un dialogue entre la plume et l’épée, qui se termine par le blason de l’évêque au bout du couloir.

Il est difficile de dater précisément la réalisation de ces peintures, exécutées sur deux fois seize mètres de long et quatre mètres de haut. On la situe à la toute fin du XVe siècle grâce à la présence d’un graffiti «Anno Domini 1500» qui lui est forcément postérieur. Redécouvertes en 1908 lors d’une réfection, puis restaurées par le peintre Ernest Correvon, ces peintures ont été dissimulées pendant des siècles sous plusieurs couches de plâtres que les Bernois s’étaient empressés d’apposer à leur arrivée. Plusieurs figures allégoriques n’y ont pas résisté, de même qu’une bonne partie du texte.

Qu’a donc voulu entreprendre l’évêque lausannois en faisant peindre ces poèmes sur les murs de son château? Cheminement physique et intellectuel, tel est le programme entrepris au château de Lausanne à la fin du 15e siècle. Ce message, laudatif envers le poète qu’il élève au statut du noble, établit la rhétorique comme étape essentielle vers la noblesse. Aymon de Montfalcon fait partie de ce siècle de grands personnages qui, comme Charles d’Orléans ou René d’Anjou, «élevé à la fois dans la tradition chevaleresque et le culte des belles-lettres», s’attelle à son devoir d’homme d’Eglise comme à la poésie (il fut poète avant d’être évêque). La qualité des personnes qu’il réunissait autour de lui montre son désir d’élever le niveau de sa cour, bien que toujours périphérique face aux grandes cours européennes. L’influence italienne renaissante, nettement perceptible dans plusieurs tableaux – on peut tirer des parallèles avec les portraits du peintre renaissant italien Ghirlandaio (1449- 1494) ou encore avec le portrait féminin de Léonard de Vinci conservé au Louvre (1495) – ainsi que dans la frise qui surmonte l’ensemble – où l’on peut parler d’art «à l’antique» – témoigne d’une percée de l’influence italienne, précoce par rapport aux voisins helvétiques, et d’un goût pour la nouveauté à la cour de l’évêque lausannois. S’il s’agit des premières marques de la Renaissance dans l’actuelle Suisse, il est cependant peu probable que l’artiste soit italien.

Le lecteur sera ainsi content d’apprendre que ce monument historique sera (enfin!) restauré une fois les travaux de la salle du Grand Conseil terminés. Et s’il est intéressé par la découverte de ce trésor iconographique, il pourra s’adresser à l’auteur de cet article pour une visite des lieux, en automne. En attendant, le site internet www.museesvd. ch/fr/chateau-saint-maire propose de très belles photographies.

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