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Le salaire minimum

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1912 8 avril 2011
Nous voterons le 15 mai sur l’initiative cantonale pour un salaire minimum. Ses auteurs proposent d’ajouter un troisième alinéa à l’article 58 de la Constitution vaudoise:

«Il (l’Etat, réd.) institue un salaire minimum cantonal, dans tous les domaines d’activité économique, en tenant compte des différences régionales, des secteurs économiques ainsi que des salaires fixés dans les conventions collectives, afin que toute personne exerçant une activité salariée puisse disposer d’un salaire lui garantissant des conditions de vie décentes.»

Parallèlement, un comité issu des syndicats récolte des signatures pour imposer le principe et les modalités chiffrées d’un salaire minimum sur le plan fédéral.

L’existence d’un salaire minimum n’est pas forcément favorable aux employés. Elle peut notamment restreindre l’embauche en ce qui concerne toutes sortes de petits emplois d’une certaine utilité mais peu rentables, qu’un employeur n’a d’intérêt à offrir que s’il peut les rémunérer en proportion de leur rentabilité. Le salaire minimum donne aussi à l’employeur une sorte de droit à ne pas aller plus loin: «Je respecte le minimum, je suis en règle, pourquoi irais-je au-delà?» On court donc le risque que certaines entreprises nivellent par le bas les salaires inférieurs.

Que les partis et mouvements d’extrême-gauche, que les communistes du POP et de Solidarités considèrent les conventions collectives comme un piège tendu par les patrons, et le transfert de la gestion des salaires à l’Etat comme un progrès en soi, rien que de très normal. A leurs yeux, la paix du travail est un attrape-nigaud et les syndicalistes traditionnels sont des «collabos». Leur slogan préféré est: «Pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes.»

En revanche, nous nous étonnerons toujours de voir des syndicats aller dans le même sens et se dessaisir volontairement, au profit de l’Etat, des compétences qui, au fond, justifient leur existence. Si le débat sur les salaires entre partenaires sociaux se voit progressivement transféré à l’administration, les conventions collectives perdent une bonne partie de leur raison d’être… et les syndicats aussi.

Privés de leurs compétences propres, les syndicats changent de nature. De partenaires économiques et sociaux, ils se transforment en groupes de pression idéologiques et remplacent les discussions loyales entre représentants patronaux et ouvriers par des manifestations publiques, du lobbying aux Chambres fédérales et le lancement récurrent d’initiatives démagogiques.

La Suisse a développé un système original de relations économiques, reposant sur la concertation entre les partenaires sociaux et privilégiant les relations humaines plutôt que les affrontements de rue et la contrainte législative. Dans cette perspective, le rôle de l’Etat est second. Il lui revient de faire respecter les accords existants, cas échéant d’étendre à toute une branche d’activité la validité des conventions qui se révèlent durablement bénéfiques pour la communauté. Il lui revient aussi, parfois, d’empêcher que les accords sociaux ne soient si généralisés qu’ils représentent un boycott de fait à l’égard des outsiders et un oreiller de paresse pour les syndicalistes ouvriers et patronaux. C’est donc parfois aussi le rôle de l’Etat que de desserrer l’étau corporatif en ouvrant une place aux nouveaux acteurs économiques, voire en suscitant leur apparition.

Un tel système repose sur une certaine confiance et un certain respect entre les forces sociales. Les patrons admettent que les employés sont plus que des forces de travail qui visent à travailler le moins possible, et les employés admettent que les patrons n’ont pas pour unique souci de les exploiter et de gagner le plus d’argent possible sur leur dos. Les uns et les autres croient dans les vertus de la négociation sur pied d’égalité pour régler les diverses questions sociales et orienter tant les employés que les patrons en direction de l’intérêt général.

Introduire un salaire minimum par le biais de la législation, c’est contester le principe même de cette confiance dans les personnes et le dialogue social. C’est croire en la machine administrative plus que dans les personnes. C’est remplacer les relations humaines vivantes par une morne application des règles, et bloquer toute évolution autre qu’un accroissement du pouvoir administratif. C’est encore refuser d’examiner les inconvénients du système dans les pays où il se pratique concrètement.

Le système suisse a porté des fruits dont tout le monde profite. Mais on ne peut jouer sur les deux tableaux. Il faut choisir: soit la planification administrative mécanique, soit un partenariat social inventif. Les auteurs de l’initiative pensent ou font semblant de penser qu’on peut additionner les avantages de ces deux approches fondamentalement opposées.

Pour ce qui est de l’initiative vaudoise, elle n’aurait pratiquement aucune portée. La question des salaires relève en effet du droit du travail qui est fédéral. C’est un fait qui s’impose, quoi qu’on puisse en penser sur le fond. Le Tribunal fédéral a certes validé une initiative identique lancée à Genève. Mais il ne l’a fait que dans l’étroite mesure où il s’agirait d’une mesure sociale empêchant l’employé de mourir de faim. Un tel salaire minimum serait dès lors plus près des montants de l’assistance publique que des plus bas salaires pratiqués aujourd’hui.

Accepter l’initiative vaudoise n’aurait guère que deux effets. Le premier serait la mise sur pied d’un énorme appareil administratif chargé d’appliquer la loi avec toutes les variables régionales, sectorielles et conventionnelles évoquées dans le texte. Le second serait d’accoutumer l’électeur à l’idée d’un salaire minimum, dans la perspective du vote sur l’initiative fédérale. C’est donc aussi à titre préventif qu’il faudra voter NON.

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