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La Suisse face aux nazis

Pierre Rochat
La Nation n° 1923 9 septembre 2011
En 2000 paraissait à Genève, chez Slatkine, La Suisse encerclée, traduction d’un ouvrage que son auteur Stephen P. Halbrook destinait au public américain pour lui expliquer ce que fut la neutralité armée de la Suisse durant la deuxième guerre mondiale. L’édition originale publiée aux Etats-Unis en 1998 suivait de peu la réouverture du dossier des avoirs juifs en déshérence, la dramatisation qui en résulta et la mise en cause de l’attitude de la Suisse pendant la guerre. Introduite et conclue par l’ancien secrétaire d’Etat Edouard Brunner, la traduction française venait à point nommé pour faire pièce au rapport de la Commission Bergier dont on connaissait les premières conclusions. Elle fut saluée par tous ceux que scandalisaient le parti-pris de la Commission et l’auto-flagellation des bien-pensants.

Frappé par le fait que la Suisse complètement encerclée avait échappé à l’occupation, Halbrook posait cette question: «Quel a été le secret de la Suisse?» et se fixait comme but principal la description des efforts politiques et militaires de la Suisse pour défendre son indépendance. Il exposait ce que fut, année après année, l’affirmation de la volonté du peuple en armes de résister à toute tentative de soumission à l’ordre européen nazi. Particulièrement remarquable était l’étendue des recherches entreprises par l’auteur; plus de mille références manifestaient son souci d’une information aussi documentée que possible en l’état des sources disponibles à l’époque; la qualité de ces sources témoignait du sérieux de ses investigations. L’ouvrage et ses traductions nombreuses rencontrèrent beaucoup d’intérêt et remportèrent des prix.

Cet intérêt encouragea Halbrook à compléter son ouvrage de 1998 par une nouvelle étude qui parut en 2006 et fut traduite en allemand comme «Eine Ergänzung zum Bergier-Bericht». Jean-Jacques Langendorf l’a traduite en français et Cabédita l’a publiée récemment sous le titre La Suisse face aux nazis, avec une préface de l’ancien ambassadeur Carlo Jagmetti. Loin d’être une redite, elle substitue à la vision chronologique qui caractérisait La Suisse encerclée une analyse thématique qui traite quatre sujets: la guerre des nerfs, les préparatifs d’invasion, la survie du pays et l’espionnage. L’ouvrage est une autre réponse à la question que se posait l’auteur en 1998, réponse nourrie de nouvelles recherches menées avec le même souci de faire oeuvre d’historien et non de publiciste à succès. Preuve en est notamment l’exploitation des archives de la Wehrmacht concernant les plans d’invasion de la Suisse. Ces plans étaient-ils sérieux? Ne s’agissait-il pas de manoeuvres d’intimidation? Hitler a-t-il eu réellement la volonté d’attaquer la Suisse? Des historiens de l’école critique en ont douté; pour les Allemands, disaient-ils, une Suisse épargnée était plus utile qu’une Suisse conquise; la crainte d’une résistance militaire opiniâtre n’a joué qu’un rôle mineur. Halbrook a donc cherché des réponses dans les archives militaires allemandes. Il n’a rien trouvé qui permette de mettre en doute le sérieux des plans. Bien sûr, leur existence n’est pas une révélation pour nous; mais leur contenu est présenté par Halbrook tel que les archives allemandes le donnent à connaître. C’est là l’important.

Les documents constituent pour l’historien la source principale de son information. Mais les témoignages sont aussi des moyens de connaissance précieux. Contrairement à la Commission Bergier, Halbrook en a recueilli personnellement de nombreux qui lui ont permis de corriger beaucoup d’images fausses et de jugements tendancieux. Adepte de l’inspection locale, il a fait de multiples visites, notamment dans ce qui fut le Réduit national; à St-Maurice, le commandant local des gardes-fortifications l’a piloté lui-même dans la place forte.

La Suisse face aux nazis, écrit pour le public américain, apporte au lecteur helvète un complément d’information utile. La période de 1939-1945 demeure à plusieurs égards mal connue. Elle ne figure pas en bonne place dans les programmes scolaires; combien d’enseignants savent-ils exactement ce qu’était le Réduit? La TSR a rediffusé récemment le documentaire qu’elle lui avait consacré il y a quelques années et qui colporte le mythe d’une stratégie qui aurait consisté essentiellement à fortifier un tas de rochers en abandonnant la population civile à son sort; elle accrédite la thèse selon laquelle la volonté de défense et la préparation militaire n’ont pas véritablement influé sur le sort que la dernière guerre nous a réservé. Qu’un auteur américain se soit donné tant de peine pour persuader du contraire ses compatriotes, qui nous estiment peu, voilà qui mérite notre reconnaissance.

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