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Contre le multiculturalisme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1924 23 septembre 2011
Le multiculturalisme est une conception sociale et politique qui se définit par son ouverture sur pied d’égalité à toutes les cultures, nations et religions du monde. A l’inverse des autres cultures, toujours plus ou moins exclusives, la société multiculturelle est essentiellement inclusive. Et pour supprimer toute barrière à cette inclusion, ses partisans sont prêts à faire litière de leur propre originalité historique, de leur religion, de leurs mœurs et de leur souveraineté.

Dans une telle société, chaque individu est en principe accepté sans restriction, avec toutes ses particularités ethniques, religieuses, nationales, sans parler évidemment de son genre, de sa manière de vivre et de ses «orientations sexuelles». On se représente la vie de la société multiculturelle comme un long fleuve tranquille et festif, une human pride interminable, bigarrée et pacifique.

Le multiculturaliste considère la diversité comme une valeur en soi. A ses yeux, l’assimilation est contestable en ce qu’elle dissout la culture faible dans la culture forte. Il tient, autant qu’un «tour-opérateur», à conserver intactes les cultures d’origine.

Son ouverture est pourtant plus limitée qu’il ne le croit lui-même. Sous son vernis de neutralité religieuse, morale et culturelle, il est lui aussi exclusif. Il pose comme acquis que l’homme occidental post-chrétien, nourri d’individualisme, d’égalitarisme et de rationalité, en deux mots, des droits de l’homme, est l’aboutissement de l’humanité. Cette philosophie lui tient lieu, en quelque sorte, de culture, de religion et de droit. Il l’impose aux religions et cultures qu’il accueille. Et il exclut ceux qui la refusent.

Dès lors, au nom du respect d’autrui et de l’égalité, on va autoriser la pratique des religions et cultures étrangères sur notre sol, mais à la manière des Occidentaux modernes, c’est-à-dire comme une activité individuelle et privée. Elles peuvent conserver leurs particularismes à condition qu’elles se plient à notre conception de l’essentiel. On leur laisse la forme et on impose le fond. Comme si le fond et la forme ne se nécessitaient pas l’un l’autre!

C’est une version laïque de la transsubstantiation: l’étranger peut conserver les accidents de sa culture mais pas la substance, à laquelle il doit substituer celle des droits de l’homme.

Sur le plan religieux, l’individu est entièrement libre de se prosterner devant Dieu, Jahvé ou Allah, ou n’importe quel autre dieu qu’il lui plaît d’adorer. En revanche, il n’est pas libre de ne pas se prosterner, et plus bas, devant les principes de la laïcité.

Dans la réalité, l’étranger pratiquant et conscient de ses racines ne peut pas, quand il le voudrait, penser et vivre sa religion, sa culture, ses mœurs comme des réalités individuelles et privées – d’ailleurs personne ne le peut. Il s’efforcera donc, et c’est naturel, de reconstituer dans le pays d’accueil un milieu communautaire où il pourra vivre, célébrer ses rites et élever ses enfants selon les mœurs du pays de ses ancêtres. Le multiculturalisme, rejetant par principe la notion d’assimilation, favorise cette tendance séparatiste.

Le multiculturalisme n’engendre pas un monde d’individus autonomes et tolérants, mais la coexistence sur le même territoire de communautés séparées, qui tendent à l’autarcie et sont, sur les questions importantes, en opposition entre elles et avec la population indigène. C’est une situation instable, lourde de toutes les confusions et de tous les conflits. On nomme cela le «communautarisme».

Dès qu’elles ont pris une certaine importance, ces communautés imposent à leurs membres la soumission aux mœurs et au droit d’origine: l’organisation féodale qui assimile le bien commun politique à l’intérêt du clan, la soumission inconditionnelle au chef local et à sa garde prétorienne, une conception extensive de l’honneur familial, les mariages forcés pour certains, la polygamie pour d’autres, les mutilations rituelles, etc. Le multiculturalisme conduit ici à l’exact contraire de ce qu’il préconise, soit à la naissance sur notre sol de modes de vivre férocement exclusifs.

Face à l’Etat, la communauté minoritaire revendique des droits particuliers, des juridictions ad hoc, des dérogations, voire, selon son nombre et sa force, des modifications générales dans l’organisation de la société. On le voit dans les revendications scolaires, qui vont des menus de la cantine à la séparation des sexes en passant par la modification des programmes d’histoire et de sciences.

Le partisan du multiculturalisme se trouve ici démuni: soit il cède, et laisse l’intolérance et l’exclusion prendre le dessus, soit il refuse de céder, et c’est lui qui est intolérant et exclusif. Dans les deux cas, il échoue. Le multiculturalisme ne fonctionne qu’entre des personnes qui ont rejeté toute appartenance religieuse ou nationale. Il va à fins contraires dès qu’il s’applique à une religion pratiquée, à des croyants qui croient en leur dieu, à une culture qui croit en elle.

En réalité, le multiculturalisme n’existe pas. Ce n’est pas une conception sociale ni une notion philosophique. C’est un nom rassurant donné à notre impuissance et à notre angoisse face à un flux migratoire dont on ne voit pas la fin. C’est une étiquette mensongère qui donne une apparence de maîtrise à ce qui n’est qu’une débandade morale et politique. Le multiculturalisme est le creux de la vague de notre culture.

Est-ce à dire qu’il faut choisir l’exclusion? Alternative trompeuse! Les cultures ne s’excluent pas absolument. Des ponts existent. Si profondément étrangères les unes aux autres soient-elles, les cultures se touchent par leurs sommets, communiquent et s’influencent réciproquement. Pensons à l’adoption au XVIe siècle, par une grande partie de l’Europe, du sonnet italien qui devient la forme poétique française par excellence, ou à l’influence de l’«art nègre» sur Picasso et les cubistes, ou encore à la reprise par Messiaen de certains modes de la musique hindoue. Il en va de même pour la philosophie: Aristote, oublié durant des siècles, est adopté par des théologiens chrétiens, non sans avoir passé par les philosophes arabes.

Nul besoin non plus de renoncer à ses propres particularités pour être conscient de la «ressemblance humaine» qui gît dans les autres cultures et les œuvres qu’elles suscitent! La conscience du caractère à la fois particulier et universel de notre propre culture nous permet d’accepter en toute logique l’idée qu’une autre culture puisse être elle aussi un chemin vers l’universel.

Une culture touche à l’universel à travers la mise en valeur de ses particularismes. Le multiculturaliste vise l’universel par l’éradication de ses propres particularités culturelles, en l’occurrence des nôtres.

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