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Fédéralisme

Olivier Klunge
La Nation n° 1924 23 septembre 2011
A l’approche des élections fédérales, la vie politique suisse ne s’occupe plus que des efforts désespérés des partis pour grignoter quelques voix aux autres formations, et des candidats pour se démarquer de leurs colistiers. Tout problème politique de fond n’est évoqué que sous l’angle d’une promesse électorale visant à rallier le plus grand nombre. Les chefs de listes prennent des postures dans les émissions spéciales.

Dans cette soupe électoraliste, nous sommes frappés par l’absence de la question du fédéralisme. Alors que le fédéralisme est invoqué par tous les bords politiques lorsqu’il s’agit de convaincre les votants de la justesse ou du risque d’une initiative (élection du conseil fédéral par le peuple, référendum contre le paquet fiscal, etc.), il est presque totalement absent du discours des candidats lorsqu’ils doivent définir leur ligne politique. Le profil comparatif Smartvote qui classe les électeurs et les candidats en fonction de certains thèmes (société libérale, politique des finances restrictive, etc.) ne contient aucun champ «fédéralisme» et presque aucune question touchant à ce thème (sinon la question d’un plan centralisé de gestion hospitalière et l’uniformisation des programmes scolaires).

Dans ce contexte, il nous est donc paru utile de rappeler quelques principes fédéralistes que la Ligue vaudoise défend de manière constante.

L’utilité du fédéralisme

Si le bien commun de notre Canton nous tient à coeur, c’est parce que nous sommes persuadés qu’en dépendent le bien-être et la liberté des habitants, des entreprises, des groupes qui le composent. Il s’agit d’abord de liberté: plus le pouvoir qui impose des règles et les exécute est proche des administrés, plus ces lois seront adaptées aux besoins et aux attentes de ces derniers. Avec un pouvoir proche, il est plus aisé de discuter, d’influencer la rédaction des lois, d’obtenir un certain humanisme dans leur application dans des cas concrets. Il s’agit aussi d’efficacité: un pouvoir proche est plus flexible, il s’adapte plus rapidement aux circonstances concrètes que rencontrent les habitants; il permet de développer des systèmes fonctionnels en limitant le poids de l’administration chargée de les faire appliquer.

Il ne s’agit cependant pas que de cela. Pour le fédéraliste vaudois, il s’agit surtout de se souvenir que le Canton de Vaud est une nation qui a son histoire, ses traditions, ses intérêts, qui ne se confondent pas avec ceux de la confédération helvétique. Un système politique qui maintient les libertés des citoyens vaudois doit tenir compte de ces faits.

Comme aimait à le dire notre rédacteur Philibert Muret, le fédéralisme n’est pas une doctrine, mais une politique. Le fédéralisme ne doit pas être un corps d’axiomes définis de manière générale et abstraite, applicable en tous lieux. Ce qui nous importe est de savoir, dans chaque projet de loi, dans chaque évolution législative ou jurisprudentielle, si le bien commun du canton de Vaud est respecté ou non.

Ainsi, la Ligue vaudoise n’est pas séparatiste: elle ne prétend pas désirer ou demander l’indépendance du canton de Vaud en dehors de la confédération. Au contraire, au vu de la taille, de la force et de la position de notre pays, son indépendance et sa liberté sont mieux garanties à l’intérieur de la Confédération que perdues au centre de l’Europe, aiguisant l’intérêt de son puissant (quoique déclinant) voisin… En matière de politique étrangère, militaire, monétaire, le fédéraliste vaudois défendra les compétences de la confédération, ce sera également le cas, par exemple, dans la planification autoroutière ou des grandes lignes ferroviaires.

Le principe de subsidiarité

Cette politique peut, en pratique, se traduire dans le principe de subsidiarité qui implique que les Etats membres conservent les compétences qu’ils sont capables de gérer plus efficacement eux-mêmes, et que seules les tâches qu’ils ne sont pas en mesure d’exercer d’une façon satisfaisante reviennent à l’Etat central.

Ce principe n’est pourtant pas satisfaisant. D’abord son schématisme et sa généralité permettent tous les excès et ne servent à rien pour protéger l’indépendance des Etats membres d’une fédération. Surtout, ce principe inscrit à l’article 5a de la Constitution fédérale vient de l’Union européenne dans lequel il n’est conçu essentiellement que comme un instrument permettant aux institutions de l’UE de réglementer des domaines toujours plus étendus et beaucoup plus rarement à justifier un retour de compétence aux Etats membres.

Surtout, ce principe semble laisser entendre que la compétence fondamentale de décider de la répartition des tâches entre autorités revient à l’Etat central qui peut en déléguer une partie aux autorités subordonnées des Etats membres.

L’histoire et la Constitution suisse sont à l’opposé. Ce sont les cantons qui forment la confédération. L’ensemble des compétences législatives leur revient par principe, sous réserve d’une délégation de compétence à la confédération (article 3 Cst. féd.). Ainsi, dans l’exercice de leurs tâches, les cantons n’agissent en principe pas comme des délégataires du pouvoir central, mais de leur propre autorité.

Une meilleure représentation des cantons

L’évolution actuelle de la politique suisse rend la pleine application de ce principe de plus en plus rare. Les exemples de centralisation sont nombreux, de manière directe (Espace éducatif suisse) ou indirecte (planification hospitalière dirigée de plus en plus par Berne par le biais de la LAMal). Les cas de compétences rendues aux cantons sont rares et peu importants (nouvelle péréquation financière); trop souvent, c’est uniquement l’application de principes fixés par la confédération qui est laissée aux cantons (fédéralisme d’exécution).

L’activité fébrile de l’Assemblée fédérale, le souhait des parlementaires de se «profiler» et la soif des médias pour des solutions rapides et simplistes se réunissent pour exiger, sur tous les sujets à la mode: «une loi fédérale, vite!» Pour les chiens, la fumée dans les lieux publics, dès qu’un besoin d’agir réel ou supposé se fait jour, la classe politico-médiatique ne conçoit plus qu’une solution centrale avec création d’un office ou d’un observatoire fédéral à la clé.

Or, lorsqu’une évolution sociétale ou technologique demande une réponse législative dans un Etat fédéral, deux questions distinctes devraient être analysées séparément: la nécessité d’une législation et ses contours, d’une part; d’autre part, l’échelon institutionnel (canton ou Confédération) qui devrait édicter cette législation. A l’exemple du Canada, il serait souhaitable que ces deux questions soient toujours posées séparément et que les cantons puissent se prononcer sur la seconde.

La représentation des intérêts cantonaux doit être améliorée dans le système politique suisse. En effet, les cantons ont perdu leurs relais et leur influence dans les institutions fédérales et ne pèsent plus lourd face à l’administration centrale.

Une réaction des cantons a été la création de conférences des directeurs cantonaux dans différents domaines, puis récemment, leur regroupement en une maison des cantons. Ces institutions sont utiles car elles permettent aux cantons de coordonner la défense de leurs intérêts communs face à la boulimie de l’administration fédérale. Cela reste cependant insatisfaisant à plusieurs égards: d’une part, les conférences de directeurs cantonaux ne peuvent donner que l’avis (majoritaire) de l’ensemble des cantons et non représenter les intérêts particuliers de l’un ou l’autre des cantons; d’autre part, ces institutions sont seulement consultées, au mieux écoutées, par la Confédération, mais ne participent pas pleinement au processus décisionnel fédéral.

Une réforme du Conseil des Etats?

La représentation de chaque canton au sein de la Confédération est en principe la tâche du Conseil des Etats, où chaque canton envoie deux députés (sous réserve des «demi-cantons») et qui a les mêmes compétences que le Conseil national. Cependant, le Conseil des Etats ne joue pas son rôle représentatif. En effet, les conseillers sont élus par le peuple de chaque canton sur des listes partisanes; membres de partis constitués au niveau fédéral, ils représentent plus les positions de ces derniers que celles de leur canton d’origine.

En Allemagne, au contraire, les représentants au Bundesrat (pendant du Bundestag) sont des représentants des gouvernements des différents Länder.

Pourquoi ne pas imaginer que les cantons envoient au Conseil des Etats des conseillers d’Etat ou des représentants liés par les prises de position du gouvernement cantonal? cela demanderait uniquement une modification de l’alinéa 1er de l’article 161 Cst. féd. (interdiction du vote sur instruction), puisque les cantons sont compétents pour édicter les règles applicables à l’élection de leurs députés au Conseil des Etats (article 150 alinéa 3 Cst. féd.)

Fédéralisme différencié

Les concordats sont actuellement un instrument très utilisé par les cantons. Plusieurs cantons peuvent ainsi régler leurs rapports et coopérer dans certains domaines, voire créer des institutions communes. Cependant, les concordats sont également parfois utilisés comme un instrument de centralisation, lorsque, étendus à l’ensemble des cantons, ils servent à imposer, dans les domaines de compétence des cantons, une réglementation uniforme sur l’ensemble de la Suisse. Un nouvel article 48a Cst. féd. permet même à la Confédération d’imposer aux cantons récalcitrants d’entrer dans un concordat à certaines conditions. Le système des concordats peut alors devenir particulièrement pernicieux, surtout si la Confédération fait elle-même partie du concordat. Il s’agit alors d’un transfert masqué de compétence des cantons à l’Etat central.

Vu la grande diversité des cantons, les intérêts ou les capacités de ces derniers ne sont pas toujours identiques sur les tâches à déléguer à la Confédération? Alors que le canton d’Uri aura quelque peine à assumer seul la gestion d’une offre en formation professionnelle variée ou la protection de la population en cas d’événement important, le Canton de Vaud ne connaîtra aucun problème à le faire. La règle constitutionnelle actuelle qui impose qu’une tâche doit être soit cantonale, soit fédérale de manière uniforme pour tous les cantons n’est donc pas adaptée aux réalités suisses. Pourquoi ne pas donner le droit à chaque canton de demander de récupérer une compétence qui a été déléguée à la Confédération? Ainsi, le Canton de Vaud pourrait organiser son système de HES ou adapter les règles sur la vente d’immeubles à des étrangers selon ses besoins concrets, pendant que d’autres cantons laisseraient à la Confédération la compétence de gérer ces questions.

Un tel système de fédéralisme différencié existe au Canada; de nombreux Etats européens développent également une décentralisation similaire. Les Vaudois sont particulièrement concernés par cette question. Citoyens d’un grand canton peuplé et à l’économie diversifiée, mais souvent minorisés dans les scrutins fédéraux, le fédéralisme différencié leur permettrait de conserver une part de souveraineté correspondant à leurs besoins et à leurs aspirations.

L’investissement fédéraliste vise le long terme. Sans s’arrêter au gain d’une prébende ou aux manoeuvres politiciennes pour obtenir un assentiment sur un point concret, il s’intéresse au bien commun de la nation, à l’équilibre et à la stabilité des institutions.

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