Election du Conseil fédéral par le peuple: premiers déséquilibres
Rappelons le système proposé. Il est simple: le Conseil fédéral n’est plus élu par l’Assemblée fédérale, mais directement par le peuple suisse. La Suisse entière forme l’unique circonscription électorale; soit une immense arène politique (nous n’osons plus parler de cour d’école). Pour éviter que la Suisse alémanique, notoirement plus peuplée, ne décide à elle seule de la composition de l’exécutif fédéral, l’initiative prévoit que les deux meilleurs élus «latins» reçoivent d’office un siège lorsqu’ils peuvent attester d’un domicile dans les parties francophones ou italophones de la Confédération1.
Nous nous souvenons de la controverse interminable qui tenta de répondre à la question de savoir si Urs Schwaller était «latin» ou non. Le domicile comme condition objective semble à première vue rendre facile l’évaluation de la «latinité» du candidat. Mais c’est une façade. Il suffit qu’un candidat alémanique, singinois par exemple, déplace son domicile de quelques kilomètres pour qu’il soit éligible plus facilement. Il y a même des précédents: rappelons le changement de domicile faxé en urgence de Genève pour l’élection de Mme Dreifuss, jusqu’alors domiciliée en Argovie.
Ainsi donc, quand bien même notre candidat «latin» sera transporté à Berne, il ne sera pas obligatoirement l’un des sept mieux élus de Suisse. Mais il aura le privilège d’être «latin», et partant d’être conseiller fédéral. Cette hésitation démontre que les initiants, au plus profond d’eux-mêmes, sentent bien que leur conception unitaire de la Suisse ne tient pas. Ne serait-ce que parce qu’eux-mêmes se méfient de leurs voisins d’outre-Sarine. Mais quoi qu’il en soit, dans la logique plébiscitaire de l’initiative, ce «latin» le mieux élu des siens ne sera qu’un demi-conseiller fédéral. L’UDC fait là les choses à moitié: soit le peuple élit, soit le peuple n’élit pas.
La Feuille fédérale nous fournit une solide preuve à charge. Ce ne sont pas moins de cent huit mille huit cent vingt-six signatures qui ont été récoltées dans toute la Suisse. La Suisse romande et tessinoise totalise environ neuf mille signatures2, soit moins de dix pour cent de la moisson entière. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: il s’agit d’une initiative suisse alémanique ayant efficacement fonctionné dans le triangle Zurich-Berne-Argovie3. Ces cantons faisant à eux seuls près de quatre fois plus de signatures que les cantons «latins» réunis.
Il y a donc tout à craindre de cette initiative. Les chances sont très fortes qu’il faille envoyer à Berne des conseillers fédéraux très mal élus mais «latins».
Mais en réalité, argumenter sur le terrain de la «latinité» n’a aucun sens. Et finit même par donner raison aux initiants dans leur appréhension bipolaire, bien qu’extrêmement maladroite, de la Confédération.
La question centrale que pose l’initiative est celle du paradigme de réflexion. Soit on considère la Suisse comme une Confédération composée de vingt-six Etats souverains, soit on prend la Suisse comme une nation unitaire, composée d’une majorité alémanique et d’une minorité «latine» qu’il faut protéger. Là est le choix réel que nous pose cette initiative.
La Ligue vaudoise a déjà tranché. Nous voterons NON, au nom d’un équilibre confédéral réel qui a fait ses preuves.
NOTES:
1 Non inclus dans la description des zones «latines», nos amis romanches apprécieront certainement d’être noyés dans le quota suisse alémanique.
2 VD: 2204 / VS: 1300 / NE: 479 / GE: 1446 / JU: 214/ TI: 2271. Il est de plus difficile de savoir quelle est la part francophone des 18378 signatures bernoises et des 1165 fribourgeoises. Nous nous permettons donc d’imaginer que le total «latin» se situe entre 8000 et 10000. Les chiffres indiqués se rapportent au nombre de signatures valables. (FF 2011, 6086)
3 ZH: 28730 / BE: 18378 / AG: 11482 (FF 2011, 6086).
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Contre le multiculturalisme – Editorial, Olivier Delacrétaz
- NON à un impôt successoral fédéral – Antoine Rochat
- La liberté par ceux qui l’ont perdue (Dostoïevski) – Jacques Perrin
- Controverses écologistes – Revue de presse, Ernest Jomini
- Fédéralisme – Olivier Klunge
- M3: de trop? – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Les Marches du Pays: les Aiguilles de Baulmes – Alexandre Pahud
- Le jeu du gendarme et du doublon – Le Coin du Ronchon