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Rubik: un casse-tête insoluble?

Olivier Klunge
La Nation n° 1945 13 juillet 2012

Les accords fiscaux spéciaux avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Autriche (dits «accords Rubik») ont été récemment adoptés par le parlement fédéral et publiés dans la Feuille fédérale le 19 juin, faisant courir le délai référendaire jusqu’au 27 septembre 2012.

Nous ne nous arrêterons pas sur le procédé peu loyal de soumettre au référendum des objets disputés juste avant les vacances d’été ou de noël. Notre droit ne connaît toujours pas de féries référendaires, semblables aux féries judiciaires, comme La Nation le propose depuis plusieurs années.

Les accords Rubik, de quoi s’agit il? En quelques mots1, ces accords s’appliquent aux ressortissants de trois Etats européens détenant, directement ou par le biais de structures patrimoniales, des avoirs dans les banques suisses. Seuls les épargnants n’ayant pas déjà déclaré leurs avoirs au fisc de leur Etat de domicile sont réellement touchés par ces accords.

Ces clients de banques suisses, s’ils ne soldent pas leur compte dans un délai de quatre ou cinq mois dès le 1er janvier 2013, date prévue de l’entrée en vigueur des accords, devront choisir, soit le prélèvement d’un impôt libératoire, soit la divulgation de leurs données bancaires à leurs autorités fiscales.

La première alternative correspond au principe de l’accord sur la fiscalité de l’épargne conclu en 2004 dans le cadre du second paquet d’accords bilatéraux avec l’Union européenne (UE). Ce premier accord prévoyait cependant que l’impôt prélevé en suisse constituait uniquement une retenue d’impôt (du type de l’impôt anticipé) et non un impôt libératoire, les épargnants n’étant donc pas libérés de leur obligation de déclarer leurs avoirs à leur Etat de domicile. Cependant, les revenus concernés par l’accord avec UE avaient été habilement négociés par nos représentants et la retenue d’impôt a ainsi été aisément éludée par nos banquiers.

Les accords Rubik sont donc basés sur un impôt libératoire prélevé par les banques suisses, puis transmis à l’administration fédérale des contributions (AFC) qui les transfère à son homologue étranger. Les accords prévoient, pour solder le passé, un impôt unique portant sur l’ensemble des avoirs, à un taux variant entre 15% et 41%, selon divers paramètres. Ensuite, les revenus de ces avoirs seront imposés à un taux oscillant entre 21% et 48% pour les contribuables britanniques, de 26,375% pour les allemands et de 25% pour les autrichiens. Un impôt sur les successions de 40% avec le Royaume-Uni et de 50% avec Allemagne est également convenu. L’Autriche ne connaît pas cet impôt injuste.

Les contribuables refusant ce prélèvement doivent accepter que leurs données soient transmises, via leur banque suisse et l’AFC, à leur fisc domestique. Il s’agit donc d’une transmission automatique d’information. Le terme d’échange automatique est impropre puisque la Suisse ne bénéficie pas du même traitement.

Enfin, les Etats signataires pourront à l’avenir déposer des demandes de renseignements fiscaux groupées, sans mentionner de nom de banque. Cela signifie que, désormais, les contribuables des Etats concernés ne pourront plus placer d’argent non déclaré en suisse, car ils prendraient le risque de payer non seulement l’impôt libératoire, mais aussi des amendes dans leur Etat de domicile.

Que reçoit la Suisse en échange de ces concessions? Formellement, uniquement l’engagement des Etats contractants de ne pas se livrer activement (!) à l’acquisition de données volées et une déclaration de volonté d’améliorer les conditions d’accès à leur marché des services financiers, sachant que les conditions d’accès au marché sont de la compétence de UE

Que faut-il penser de ces accords? Voir les banques suisses et l’administration fédérale devenir, soit percepteurs, soit indicateurs de fiscs étrangers pose un grave problème en matière de souveraineté. Ces accords manifestent aussi dans la législation la fin du secret bancaire helvétique en matière fiscale (après son abandon en matière de blanchiment dans les années 90). Ils permettent cependant de le faire de manière ordonnée, contrairement à ce qui se passe avec les Etats Unis. Par ailleurs, lorsque l’on voit qu’un accord signé avec UE en 2004 a été remis en question dès 2009, il est permis de s’interroger sur la durée de vie de ces accords, une fois l’important impôt initial payé.

Si les accords Rubik sont visiblement dans l’intérêt des principales banques helvétiques, cet intérêt est-il vraiment le même que celui de la place financière suisse et de ses employés? Le soutien presque unanime des banquiers suisses serait-il dû à la volonté d’éviter des poursuites pénales à l’étranger, tout en se donnant le temps de diriger les avoirs non-déclarés de leurs clients vers des filiales situées dans des contrées (souvent dominions britanniques) dont la transparence des eaux est inversement proportionnelle à celle des comptes bancaires? De plus, les coûts de mise en place et de surveillance des obligations Rubik font aussi miroiter aux grandes banques la disparition de petits concurrents, incapables de suivre cette voie.

Il faut cependant se garder de ne considérer que le texte de l’accord. N’oublions pas les pressions extrêmes que des Etats surendettés et plus avides d’augmenter leurs recettes fiscales que de réduire leurs prestations étatiques font peser sur notre pays, ni la faiblesse politique de notre Conseil fédéral actuel (les péripéties de l’accord sur l’aéroport de Kloten devant servir d’exemple). Enfin, les marchés financiers et les épargnants ne détestent rien autant que l’incertitude. Un mauvais accord vaudrait-il mieux qu’une résistance héroïque à l’issue incertaine?

1 Cf. article de Fabien Liégois, http://cms.unige.ch/droit/cdbf, article no 814, 15 juin 2012.

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