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La France fait main basse sur les successions

Olivier Klunge
La Nation n° 1948 24 août 2012

Entreprise à la demande de la France, la renégociation de la convention de double imposition en matière de successions datant de 1953 a abouti le 9 juillet 2012 à un texte publié par le journal Le Temps1, à la faveur d’une fuite.

Disons-le tout de suite, le terme de négociation nous paraît difficilement applicable à cet accord, tant les concessions faites à la voracité du fisc français sont importantes, sans que notre gouvernement ne semble avoir obtenu la moindre miette.

Rappelons que l’imposition des successions en ligne directe peut aller jusqu’à 45% chez notre voisin, alors que les enfants ne paient généralement pas d’impôt sur l’héritage laissé par leurs parents, sauf à Neuchâtel, à Appenzell Rhodes intérieures et dans notre Canton (7% au plus).

Imposition des immeubles

Une modification importante concerne les immeubles. Usuellement, en droit international, les successions sont régies et imposées par les autorités du dernier domicile du de cujus. Par contre, pour les immeubles, éléments indissociables du sol sur lequel ils sont édifiés, l’Etat du lieu de situation de l’immeuble est compétent. Ce principe n’est pas affecté par la nouvelle convention. Par contre, la définition d’immeuble est modifiée pour inclure également les actions ou autres droits de participation dans des sociétés ou entités dont l’actif est principalement composé d’immeubles. Dans ce cas, l’immeuble détenu indirectement par le de cujus sera imposé en transparence, soit comme s’il était détenu directement par le défunt, et donc imposé non au lieu de son dernier domicile comme une action, mais au lieu de situation.

Cette nouvelle définition est favorable à la France. En effet, un Suisse ou un Français domicilié sur l’adret lémanique aura placé sa résidence dans le midi dans une société civile immobilière (SCI) afin de profiter d’une imposition plus clémente dans son Etat de résidence, alors que le Français détenant un immeuble dans notre pays aura pris soin de le conserver à son nom afin d’échapper, au moins pour ce patrimoine, aux appétits de Bercy. Cette concession est cependant logique: il s’agit de traiter également deux situations juridiques dissemblables, mais économiquement comparables et, sous un certain angle, empêcher un abus de droit. Il est donc compréhensible que la Confédération accepte d’appliquer avec la France le système que les cantons (en tout cas romands) appliquent en matière de sociétés immobilières.

Les héritiers mal logés

Ce n’est nullement le cas d’une autre concession qui permet à la France d’imposer, sous imputation de l’impôt payé en Suisse, tous les biens hérités par une personne (suisse ou française) domiciliée en France au moment du décès du de cujus, si elle a vécu dans ce pays durant six des dix années précédentes.

Ainsi notre pays accepte d’appliquer le droit interne français (qui connaît cette imposition du fait du domicile de l’héritier) en contradiction non seulement avec son droit propre, mais avec les principes généralement admis en droit international public, en particulier par le modèle (non contraignant) développé par l’OCDE, qui a été utilisé, entre autres, par la France pour forcer notre pays à accepter l’échange d’informations pour l’évasion fiscale.

Une capitulation

Le Conseil fédéral, dont les membres en général et notre ministre des finances en particulier semblent avoir abdiqué toute volonté de défense pour sauver leur siège à défaut de la face, tente de défendre cette capitulation en affirmant qu’il était nécessaire de signer à tout prix au risque de voir notre voisin dénoncer ladite convention et de voir les contribuables imposés à double. Cet argument ne tient pas. La nouvelle convention autorise la France à taxer l’ensemble des successions ayant le moindre lien avec elle et l’oblige uniquement à imputer l’impôt prélevé en Suisse. Sachant que, pour les héritages en ligne directe qui constituent l’écrasante majorité des successions, les cantons suisses ont généralement renoncé à cette imposition, la concession n’est pas exorbitante. Par contre, la signature de la convention permet aux percepteurs tricolores d’obtenir de la Suisse des renseignements précieux sans lesquels leurs prétentions fiscales seraient difficilement exécutables.

La Confédération n’a signé pour l’instant que neuf conventions en matière successorale (toutes prévoyant l’imposition au domicile du de cujus). Le précédent est donc d’autant plus significatif. Nous n’avons pas même de convention avec notre voisin italien, sans que cela ne semble poser de problème majeur. Les cantons, seuls concernés en matière d’imposition sur les successions, se doivent de défendre leurs intérêts et leur souveraineté en refusant cet accord trop inégal.

Notre pays prospère, à l’Etat faiblement endetté (en comparaison internationale, non dans l’absolu), attise depuis quelques années les convoitises de fiscs occidentaux désespérant de pouvoir simplement trouver les moyens de payer les intérêts des dettes accumulées pour financer les promesses électorales de trois générations de politiciens. La Suisse est au coeur de la tempête et notre gouvernement est incapable de piloter le navire, le laissant dériver au gré des courants des pressions internationales. La tâche n’est certes pas aisée et il faut naviguer au plus près du vent. Il n’est par contre pas admissible de donner le message qu’il suffit aux grandes (et aux moins grandes) puissances d’exiger pour que la Suisse plie.

Cette image de l’abandon de notre souveraineté ne saurait être compensée par l’idée que le gouvernement français pousse désormais les enfants à rejoindre leurs parents dans un Etat où les trains qui arrivent à l’heure ne sont pas uniquement ceux des mesures fiscales.

 

Notes :

1 Le Temps, 10 août 2012 sur www.letemps.ch .

 

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