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Songeur

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 1948 24 août 2012

Dans un article consacré aux Cahiers vaudois1, M. Jean-Louis Kuffer écrit: Avec le recul d’un siècle, la restriction ramuzienne au «canton de Vaud seul» peut laisser songeur, et l’on verra Romain Rolland déplorer les partis pris anti-genevois ou anti-alémaniques des compères (les fondateurs des Cahiers, réd.), alors que l’Europe bascule dans le chaos.

M. Kuffer répond à Ramuz dont il cite un peu plus haut une lettre à Budry de 1912: Je voudrais […] que vous appeliez vos cahiers: Cahiers vaudois. Il faut insister là-dessus, […] que c’est du canton de Vaud seul qu’il peut sortir chez nous quelque chose et que c’est cette terre-là seule qui donnera un jour des fruits.

Le terme de «restriction» à propos de Ramuz et du Canton de Vaud est malheureux. Sur le plan littéraire, j’imagine pourtant que M. Kuffer est le dernier à contester la souveraineté entière de l’écrivain, de l’artiste en général, quant au choix de ses thèmes. La justification du choix artistique, c’est le résultat. Avec Ramuz, le résultat s’impose.

On ne voit d’ailleurs pas en quoi Ramuz aurait été un écrivain moins restreint, un écrivain plus «universel», s’il avait pris la Suisse, ou l’Europe, ou le monde plutôt que le Canton comme cadre ou référence de sa création.

Les partis pris anti-genevois et anti-alémaniques, l’affrontement entre les partisans d’un art suisse et ceux d’un art romand, ou francophone, ou rhodanien, le pugilat entre Gonzague de Reynold et Charles-Albert Cingria, tout cela est marginal et ne doit pas détourner notre attention de l’essentiel, c’est-à-dire de la géniale création des Cahiers vaudois. La déploration, plus affective que littéraire, de Romain Rolland reste à la périphérie des choses.

Sur le plan politique, je parle ici non des institutions ou des votations, qui n’intéressaient guère Ramuz, mais du Pays de Vaud, territoire et communauté, il est tout aussi impropre de parler de «restriction», sauf à nier sa réalité historique et culturelle.

Ramuz, qui cherchait un agrandissement de soi par ses alentours naturels, ainsi qu’il l’écrit dans Raison d’être, a choisi ou, plus exactement, a reconnu ses propres alentours naturels dans le Canton de Vaud. Comme on sait, il ne devait pas s’y restreindre, mais au contraire s’y déployer dans toute son ampleur.

Que le monde littéraire et intellectuel d’ici éprouve une telle réticence à accepter ce lien si simple et si évident par sa fécondité, voilà qui laisse plus justement songeur.

 

Notes :

1 «L’aventure des Cahiers», 24 heures du 9 août 2012

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