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Les barrages à l’encan?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2041 1er avril 2016

Les puissants barrages de nos Alpes font partie des mythes identitaires de la Suisse moderne. L’intention d’Alpic, la grande société productrice d’électricité qui a succédé notamment à l’emblématique EOS, de vendre 49% de ses installations suisses a donc provoqué non seulement l’étonnement, voire la consternation d’une large partie du public. Comment peut-on en arriver ainsi à se défaire des bijoux de famille?

L’Allemagne, ayant décidé de renoncer à la production nucléaire d’électricité, s’est mise à subventionner à tour de bras les énergies renouvelables de remplacement. De plus, comme celles-ci n’ont pas une production régulière, surtout les éoliennes, même en Mer du Nord, il faut laisser en service de nombreuses centrales thermiques à charbon, fonctionnant à très bas coût – la Germanie est riche de ce fossile – pour assurer l’approvisionnement. Il résulte de cette politique une production surabondante et un affaissement des prix, artificiellement provoqué par l’Etat certes, mais qui n’en chamboule pas moins le marché européen. En Suisse, l’électricité d’origine hydraulique n’est plus guère rentable et même le nucléaire soutient mal la concurrence.

L’industrie hydro-électrique suisse est donc en crise et nos grandes compagnies, qu’on croyait solides comme le roc de nos montagnes, sont déséquilibrées. Alpic a annoncé des pertes de 830 millions de francs pour l’année 2015 et chercherait donc à renflouer ses finances en aliénant une partie de ses biens. Mais qui s’intéressera à des installations présentées comme non rentables? Est-ce donc le moment de vendre? Alpic y serait-elle contrainte malgré tout?

Il n’est pas facile de répondre à ces questions et il convient de s’exprimer au conditionnel en tentant de comprendre, car tout n’est pas clair dans les affaires de cette société. Il apparaîtrait d’abord, selon certaines sources, que la perte de 830 millions n’est pas due à l’exploitation des barrages et de leurs centrales en contrebas, mais à des écritures comptables: amortissements accélérés, dépréciation au bilan de certains actifs, provisions pour l’achat futur d’énergie selon des contrats générateurs de pertes… Peut-être ces écritures sont-elles l’expression d’une gestion prudente, mais elles n’en faussent pas moins l’image de la rentabilité propre de la production indigène de houille blanche. On hésite d’ailleurs d’autant plus à comprendre la situation qu’Alpic, qui appartient en partie à EDF, serait intéressée, dans le cadre d’un pool d’investisseurs, à l’achat de barrages français…

Alpic est présidée par M. Jens Alder, dont le parcours antérieur n’a pas laissé un souvenir glorieux. Il était de l’équipe qui a mis en place, après l’effondrement de Swissair, l’éphémère compagnie Swiss Airlines International. Il a ensuite dirigé Swisscom, l’époque où cette société se lançait dans des investissements un peu aventureux à l’étranger – le Conseil fédéral avait dû bloquer l’acquisition des télécommunications irlandaises… EDF est très présente au conseil d’administration. Quant à la directrice générale d’Alpic, c’est une Allemande. On peut se demander ce qui inspire la stratégie de cette société.

Certains disent que la vente des barrages n’a guère d’importance, l’acquéreur fût-il chinois. Pascal Couchepin s’exclame: même si le propriétaire est étranger, il ne va pas délocaliser la Grande-Dixence! Il est vrai que l’opération serait un peu lourde, mais la réflexion du radical valaisan semble un peu courte. Délocaliser, non; mais maltraiter les partenaires indigènes, voire arrêter la production pour anéantir un concurrent, cela est de l’ordre du possible, surtout si l’on a racheté à prix de liquidation après dépréciation au bilan…

Il semble que les actionnaires-distributeurs d’Alpic – sociétés électriques en main de cantons, services industriels communaux – envisageraient d’acheter. Ils renfloueraient donc Alpic aux frais du consommateur ou du contribuable. Ce cadeau est-il mérité?

Derrière toutes ces questions auxquelles on aimerait connaître les réponses – les administrateurs vaudois d’Alpic s’exprimeront-ils un jour? – subsiste le problème fondamental du déséquilibre d’un marché faussé par le subventionnement de l’énergie allemande. La tendance est au subventionnement de l’énergie suisse pour faire face… Et cela même pour le nucléaire, M. Blocher y serait favorable (peut-être que cela ne déplairait pas à Ems-Chemie?). Mais la subvention, tôt ou tard, est soumise à conditions; c’est dire que la Confédération prendrait la haute direction de la production d’électricité. Nous avons suggéré une formule moins invasive: la fixation d’un prix-plancher à l’importation, neutralisant l’effet de dumping des subventions étrangères. Le produit de cette taxe à l’importation pourrait être versé à Swissgrid, le transporteur de courant helvétique.

On nous objecte que ce serait une mesure protectionniste contraire aux règles de l’Union européenne. Mais il vaudrait la peine d’ouvrir des négociations. Est-ce du protectionnisme que de se défendre contre le dumping d’Etat? Est-il conforme au libéralisme de l’UE de subventionner la production? Bien sûr que non. Et EDF elle-même est mise en difficulté par cette distorsion du marché. Notre politique énergétique ne doit pas se borner à condamner le nucléaire et à subventionner le reste, en favorisant une fédéralisation rampante de cette branche économique tout en l’engageant dans un cercle vicieux.

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