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Servitude volontaire

Jacques Perrin
La Nation n° 2041 1er avril 2016

Bonne Nouvelle, mensuel de l’Eglise réformée vaudoise destiné à disparaître au profit d’un magazine romand, laissera-t-il des regrets?

Le numéro 2 de mars 2016, les pages consacrées aux paroisses exceptées, n’en laissera aucun.

Les églises se vident, nous répète-t-on. Selon l’Office fédéral de la statistique, les protestants ne représentent plus qu’un quart de la population. Est-on entré dans un temps où il faut tourner la page du christianisme? se demande le théologien Jean-François Habermacher.

Heureusement, des personnes «concernées par la foi» sont en train de construire un abri contre ce vent de panique. En gros, il s’agit, dans un vocabulaire mille fois entendu mariant le marketing et la psychologie médiatiques, de revisiter la Bible, de réinventer l’Eglise, d’adapter l’offre à la demande, d’être plus actuel.

Moi, mes envies, l’actualité, Jésus, moi et encore moi : ainsi résumerions-nous l’affaire.

Un professeur en esthétique des religions de l’Université de Berne propose de réaffecter les églises désertées sous forme de don à une autre communauté religieuse. (Devinons laquelle! réd.) De nombreuses églises dans le monde sont déjà transformées en hôtels, restaurants, fitness, spas, lofts ou skateparks. Il faut permettre aux gens de se réapproprier le lieu ecclésial sans y avoir une relation de pratiquant.

Un autre professeur, de théologie pratique, spécialiste de la nourriture, déclare qu’il n’y a eu dans le christianisme aucune pitié pour les animaux, y compris de la part de Jésus. Il propose aussi de revisiter la cène, de la réinventer, de telle sorte qu’elle soit inclusive: imaginez une personne intolérante au gluten qui se retrouve face à du pain! On imagine…

Et à quoi bon l’agneau pascal? Il faut accueillir à Pâques les pratiques alimentaires de chacun et satisfaire tout le monde. Et là, alléluia!

Pour le sociologue Philippe Gonzalez, le choix religieux est individuel. Il n’y a pas de souci du moment que demeurent les valeurs de solidarité sociale, de responsabilité individuelle, de tolérance et de pluralisme. Il faut bien entendu repenser la spiritualité et penser des modèles qui laissent place à la ritualité, pour répondre à la demande.

Plus loin, on apprend que, pour maintenir les émissions télévisuelles consacrées au fait religieux, les producteurs proposent de diminuer les retransmissions des cultes et des messes.

En passant, on déplore que les offres de l’Eglise protestante ne correspondent pas à la réalité de l’adolescence. Marcel Rufo et Isabelle Filliozat: le cinquième Evangile?

Parmi ces belles paroles, celles de M. Matthieu Mégevand, nouveau directeur des éditions religieuses Labor et Fides, et romancier, décrochent le pompon.

C’est un homme qui aime se laisser surprendre et nous surprend beaucoup. Il a concrétisé ses envies en créant une collection sur l’islam (ce qui s’accorde à l’actualité), puis en liant spiritualité et littérature (un thème très actuel).

Pour Mégevand, la foi est devenue intime, c’est un rapport à soi-même. Aussi n’a-t-on plus besoin de groupe pour se dire croyant […] Pour les églises, c’est difficile, elles doivent se réinventer. Du reste, Mégevand ne semble plus y aller, à l’église: Entre mon travail et mon nouveau rôle de père, je n’ai plus beaucoup de temps pour le culte.

Et Jésus? Quelle place occupe-t-il dans cette activité débordante? S’il revenait, il susciterait l’indifférence et l’indifférence est la pire des crucifixions. Les crucifiés de tous les temps apprécieront… ils auraient sans doute préféré que leurs bourreaux les laissent tranquilles dans leur coin au lieu de leur infliger ce supplice…

Pour faire passer son message sur le fond, l’amour, la bienveillance, le renversement des valeurs (?) et l’empathie (?), Jésus aujourd’hui pourrait se dire athée, car l’athéisme passe mieux sur la forme […] Dieu s’en fiche qu’on soit chrétien, athée, bouddhiste ou autre. Jésus choisirait un conseiller en communication (Mégevand par exemple), irait sur Twitter et Youtube.

Il semble d’autre part que le Christ ait été un révolutionnaire pas très malin: Sa volonté de créer le Royaume de Dieu sur terre ne s’est pas réalisée comme il le voulait et s’est terminée dans la violence […] Le fils de Dieu échoue, il n’avait pas prévu ça et ses disciples non plus.

Non, vraiment, le Christ ne savait pas s’y prendre: Ce qui ne me paraît plus concevable, c’est ce credo selon lequel Jésus est mort pour racheter les péchés de l’homme. C’est pour moi un non-sens absolu parce que dans le monde actuel, c’est un langage inaudible. Aujourd’hui, il faut réinventer le langage qu’il y a derrière.

Dans les divagations de Mégevand, il faut peut-être faire la part de l’ironie post-moderne, le romancier qu’il est cherchant sans cesse des images et des concepts qui lui parlent.

L’empilement, dans un journal chrétien, de propos si bizarres laisse cependant pantois. On supprime les églises, les cultes, le péché originel, les dogmes; Jésus devient un rebelle inscrit à un module de formation continue où il se met au courant des technologies les plus récentes ; il communique, il se vend et tout va bien: les végétaliens accourent à ses réunions, les lieux de vie se remplissent, les ados sourient, les enfants jouent, les mamans se rassurent; et les universitaires se sentent utiles, et les pasteurs collent à l’actu.

Quant à nous, nous voyons dans ce cirque une forme de servitude volontaire. La religion nous laissait entrevoir l’éternité; elle nous assujettit aujourd’hui à l’éphémère.

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