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Attentats de Bruxelles: le retour au réel

Denis Ramelet
La Nation n° 2041 1er avril 2016

Le lendemain des attentats de Bruxelles, Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du quotidien belge Le Soir (très «mainstream»1), a publié un éditorial intitulé Mes excuses: lettre à mon fils, à ma fille2 :

Cela fait 20 ans que je te mens. Je n’ai qu’une excuse: cela fait 20 ans que je crois mon mensonge. […]

Pourquoi aurions-nous eu peur? Nos parents l’avaient faite, eux, la guerre, mais ils avaient aussi, dans la foulée, fait la paix. Elle avait même pris la forme de cette Europe qui devait être le garde-fou en béton de nos folies, de nos dérives. Ce monde que nous t’avons promis, nous y croyions vraiment, pour la bonne raison que nous l’avions vu advenir.

Nous avons vu tomber les murs, les idéologies, les barrières et pas que commerciales. Moi, ta mère, j’ai profité de l’égalité croissante avec les hommes, de ces droits conquis et transcrits en lois. Moi, ton père, je n’ai pas dû faire mon service militaire dont j’ai vécu les derniers spasmes. Car l’heure n’était plus aux armées, mais aux consciences. L’heure n’était plus à envahir le voisin pour le soumettre, mais à y séjourner, à y séduire, à apprendre la langue de l’autre, en tente, en caravane ou en camping-car d’abord, sac à dos façon Routard ensuite et puis sous le couvert de cet Erasmus que tu devrais – devais? – enfourcher dans quelques mois. […]

En grandissant, j’ai assisté, incrédule mais extatique, à l’incroyable croisade qui faisait d’un Noir l’égal d’un Blanc, avec des droits égaux. «One man one vote»: on a marché pour les rêves de Martin Luther King, on a boycotté les oranges d’Afrique du Sud. C’était juste magique: un combat débouchait sur une victoire, le monde se déplaçait inexorablement du pire au meilleur. Imagine, on t’offrait sur un plateau, comme la promesse d’éternité de ce nouveau monde que nous avions bâti, Obama et Mandela, présidents! C’était pas beau ça? C’était pas grand? Mais qu’est-ce qui pouvait bien tourner mal? On l’avait décrochée, la timbale, non! Obama et l’Europe, Prix Nobel de la Paix. On était les rois du pétrole! Alleluyah! […]

Alors, non! Je ne voulais pas que tu voies ces corps déchiquetés, ces chairs explosées station Maelbeek. […] Alors, non! Je ne voulais pas que tu entendes, hier, les cris de cet enfant terrorisé, dans la fumée de l’explosion, seul fil conducteur dans l’horreur, menant vers la sortie de ce métro éventré, déchiqueté, assassiné. […]

Cela nous paraît de plus en plus clair: tu ne pourras y échapper, tu vas devoir te battre. Au moment où j’écris ces lignes, je croise simplement les doigts pour que ce ne soit pas au sens premier du terme. Comme avant…

Cependant, le mensonge «bisounours» reprend encore une (dernière?) fois le dessus:

La guerre? Je me refuse à prononcer le mot, je me refuse à dire que c’est notre état aujourd’hui. Je me refuse à tomber dans la haine, je me refuse à désigner les boucs émissaires que les prêcheurs de haine, dans les deux camps, nous proposent et imposent. C’est tout ce que j’ai à t’offrir aujourd’hui: être à tes côtés et te protéger du bouclier des valeurs auxquelles je crois et que nous devrons tous protéger. […]

Comme si se défendre physiquement impliquait de «tomber dans la haine» (qui anime en principe plutôt l’agresseur). Comme si on pouvait renvoyer dos-à-dos l’agresseur et l’agressé. Comme si des «valeurs» – quelles qu’elles soient – constituaient une protection contre une agression physique.

* * *

Dans sa chronique du 24 mars sur RTL3, Eric Zemmour a décrit avec sa verve coutumière l’état d’esprit des «foules sentimentales» post soixante-huitardes:

[…] Les foules sentimentales ont une histoire: les soixante-dix années de paix depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. Elles ont une idéologie humaniste, un succédané abâtardi et laïcisé du vieil universalisme chrétien, un «tous les hommes sont frères» dont le seul inconvénient est de ne pas être réciproque. Elles ont des institutions, celles de l’Union européenne, qui croient qu’on règle tout par la norme et par le droit. Elles ont des intellectuels, des médias, des politiques, qui refusent encore de nommer l’adversaire. Elles ont des élus, qui prônent toujours l’accueil de l’Autre et la lutte contre les discriminations.

Les foules sentimentales ne veulent pas rentrer dans l’Histoire parce que – c’est bien connu – l’Histoire est tragique. Et le tragique, ce n’est pas très «fun», comme elles disent. Les foules sentimentales s’aveuglent pour avoir moins peur, peur de ce qu’elles vont trouver au-delà, de ce qu’elles vont trouver après: la guerre de civilisations, la guerre de religions, la guerre civile.

Les yeux se dessillent, les cerveaux se désembrument, lentement, progressivement […]. Les uns plaident l’aveuglement, les autres l’angélisme. Les non-dits sortent des placards. Les foules sentimentales, longtemps endormies, sous anesthésie, s’éveillent et redeviennent peu à peu des peuples […], conscients qu’ils ne vivent pas dans le monde de Oui-Oui, qu’ils ont des ennemis qui veulent les soumettre à leur joug. Les peuples payent de nombreux morts leur rééducation à l’Histoire: par dizaines, par centaines. Mais combien en faudra-t-il pour que la leçon soit complète?

Notes:

1 En 2005, Béatrice Delvaux, alors rédactrice en chef, proclamait que Le Soir est un journal «de combat pour les droits de l’homme et de la femme, le respect de la dignité humaine, la liberté d’expression, la multiculturalité» (http://clients.whatdoweb.com/soir/campagnepub.php).

2 http://www.lesoir.be/1159825/article/debats/2016-03-23/mes-excuses-lettremon-fils-ma-fille

3 http://www.rtl.fr/actu/international/attentats-a-bruxelles-les-foules-sentimentales-ne-veulent-pas-rentrer-dans-l-histoire-dit-eric-zemmour-7782520853 

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