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S'évader dans les symboles

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2094 13 avril 2018

Des amis nous reprochent de n’avoir pas soutenu certaines initiatives populaires fédérales qui auraient mérité de l’être. «Jeunesse sans drogue» (1997); «Pour la mère et l’enfant» (2002); «Contre la construction des minarets» (2009); «Contre l’immigration de masse» (2014); «No Billag» (2018), autant d’occasions manquées par La Nation de soutenir symboliquement des positions simples, parlantes et qui, de surcroît, correspondaient aux positions de principe qu’elle défend ordinairement.

Ces initiatives traitaient de sujets fort différents, mais elles avaient en commun, entre elles, et avec nous, de s’opposer ouvertement à certaines orientations inacceptables du monde moderne, libéralisation de la drogue, avortement libre, immigration non maîtrisée, gauchisme des médias de service public. Cette proximité idéologique aurait donc dû nous faire un devoir de prendre position en leur faveur malgré leurs faiblesses évidentes, que ces amis ne contestent pas.

Ce débat n’est pas nouveau. Et périodiquement, nous nous sentons obligés de rappeler les motifs pour lesquels nous refusons de donner notre accord à n’importe quel projet de loi sous prétexte qu’il manifeste une certaine connivence avec nos idées.

Sans revenir sur l’argumentation particulière que nous avons développée à propos de chacune de ces initiatives, soulignons le fait que toutes, à part «No Billag», entraînaient une perte de souveraineté pour les cantons. Même l’initiative du 9 février «contre l’immigration de masse», qui portait sur une compétence fédérale que nous ne contestions pas, contenait des éléments de centralisation dans la gestion des contingents de travailleurs étrangers.

Or, et c’est la raison permanente de notre intransigeance fédéraliste, un texte constitutionnel ou législatif n’est applicable que s’il tient compte des mœurs et de la mentalité du pays. A défaut, il promet d’être peu efficace et d’engendrer pas mal de dommages collatéraux. On est en train de l’expérimenter, d’une façon dramatique pour de nombreux propriétaires et coûteuse pour les communes, avec la dernière version de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire.

Il ne suffit pas non plus de faire des articles constitutionnels pour qu’ils soient mis en œuvre, ni des lois pour qu’elles soient appliquées. Aux yeux du simple particulier, le droit semble d’une rigueur absolue. Mais en réalité, le pouvoir politique peut le plier ou le tordre dans tous les sens, en en retardant indéfiniment l’application, par exemple, ou en l’interprétant à la baisse, voire en refusant carrément d’en tenir compte, à l’image des Chambres fédérales et de l’initiative sur l’immigration déjà mentionnée.

Nos amis le savent parfaitement. Mais pour eux, ce n’est pas le fond de la question. S’ils reconnaissent que nos arguments et distinctions sont souvent fondés, ils contestent notre appréciation générale de la situation, qu’ils jugent trop irénique. De leur point de vue, nous nous complaisons dans des subtilités qui n’ont plus cours aujourd’hui. La critique point par point du texte proprement dit d’une initiative, la mise en lumière de ses imprécisions juridiques et de ses incertitudes politiques, la supputation de ses effets secondaires relèvent d’un juridisme inapproprié.

Leur point de vue est que le monde occidental – il ne s’agit plus seulement du Canton de Vaud ou de la Confédération – se trouve aujourd’hui dans une situation d’urgence et de nécessité. Nous sommes au seuil d’une crise et les règles ordinaires de la politique n’ont plus cours. L’action doit passer au niveau supérieur de la défense de la civilisation occidentale contre les barbares de l’extérieur et de l’intérieur. Le combat devrait désormais passer par des actions symboliques destinées à imprimer un élan salvateur au peuple. C’est dans cette perspective que nous aurions dû saluer ces initiatives.

Ces romantiques amis nous permettront de leur dire que cela ne vaut pas la peine d’être intelligents et cultivés si c’est pour rejeter la réflexion intellectuelle et s’évader dans le symbolique dès que les choses semblent partir dans tous les sens. C’est précisément dans de tels moments qu’il importe le plus de saisir le détail des enchaînements des causes et des effets. Plus la vérité est brouillée, difficile à cerner et à transmettre, plus il est important de mobiliser ses facultés pour l’atteindre. Nier la pertinence des principes éprouvés sous le prétexte que tout va mal et refuser d’appliquer son intelligence à la compréhension des choses pour s’adonner à des actions spectaculaires ne peut qu’aggraver la crise.

Réfléchir posément, conclure d’une façon proportionnée et agir en recourant aux règles ordinaires de la politique, les seules que nous puissions plus ou moins connaître et maîtriser, est en réalité une question de salut public. Rappelons tout de même à nos amis que ces règles ne se limitent pas à la gestion du quotidien politique, mais incluent le recours à la force publique et la défense des frontières.

Et quand bien même ils auraient raison de dire que la civilisation chrétienne est en phase terminale, nous ne le saurions pas avec certitude. Nous manquons de recul pour en juger. D’ailleurs, l’avenir n’est pas entièrement fait. Si le mouvement général des civilisations se déroule en dehors de la volonté humaine, il reste possible de susciter localement une accalmie, un retour, une renaissance… vaudoise par hypothèse.

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