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Pauline déteste les hommes

Jacques Perrin
La Nation n° 2162 20 novembre 2020

L’indécence n’est pas dans mon décolleté, mais dans ton regard: voilà ce que nous retenons de l’affaire du T-shirt de la honte dans un collège genevois.

Depuis toujours, les femmes (et les marchands) ont imaginé parures, parfums et maquillages soulignant la beauté féminine, propres à exacerber l’ardeur naturelle des mâles. Or des jeunes filles, encadrées par leurs mères et des militantes féministes, réclament aujourd’hui le droit de porter des vêtements affriolants tout en exigeant que le regard lubrique des hommes s’éteigne.

Chez beaucoup d’hommes, l’irrépressible désir sexuel est porté à la violence. Notre civilisation a voulu le contenir. Le viol, le rapt, l’adultère et la convoitise de la femme d’autrui ont été désapprouvés. La prostitution, mal nécessaire, a été reléguée dans des lieux obscurs. Il ne s’est pas seulement agi de réprimer la libido, mais aussi de la détourner vers des activités utiles à la communauté, ou vers le sport et le jeu, voire de la sublimer par l’art ou la science.

Les féministes d’aujourd’hui demandent davantage. Il vaudrait mieux que les hommes corrigent leur naturel et domptent leur virilité. S’ils n’y parviennent pas, les femmes envisageront de vivre entre elles.

Pour comprendre cette revendication stupéfiante, nous avons lu l’opuscule de la blogueuse et autrice française Pauline Harmange, intitulé Moi les hommes, je les déteste.

Pauline hait les hommes, mais vit avec un compagnon. Bisexuelle, elle s’est mise en couple par défaut parce qu’elle estimait l’homophobie plus insupportable que la misogynie. Elle a aimé ses parents. Son père lui a confirmé qu’elle était jolie. Sa mère, enseignante, était ferme avec ses élèves, avec les collègues pas sympas et les commerçants filous, mais faible avec ses proches. A la fin du livre, Pauline remercie son ami Mathieu et son chat Eleven, phare dans la nuit

La politique selon Pauline consiste à distinguer opprimés et dominants. Elle-même fait partie des victimes d’une injustice profonde comme toutes les autres femmes, les racisés, ou les homosexuels. C’est simple: pour Pauline, l’oppression est systémique, elle grippe les rouages de la société à tous les échelons.

Rien n’est naturel, tout est construit. Le patriarcat est si bien implanté que les hommes ne se rendent plus compte de leurs privilèges. Ils se montrent parfois bienveillants envers les femmes: c’est un vernis. Ils sont en fait violents, paresseux, égoïstes et lâches. Ils frappent, violent et tuent les femmes. Tous les hommes ne sont pas des violeurs, mais tous les violeurs sont des hommes. L’oppression s’exerce dans la vie professionnelle par le harcèlement sexuel ou la violence symbolique qui rabaisse les femmes n’ayant prétendument ni l’état d’esprit ni les compétences pour faire de bonnes dirigeantes. Les hommes ne portent qu’une part restreinte de la charge mentale imposée par l’éducation des enfants et le labeur ménager. En société, ils monopolisent la conversation, refusent d’avoir tort et rient des blagues sexistes.

Selon Pauline, il existe une porte de sortie: la misandrie. La misandrie est la haine des hommes, réaction non-violente à la misogynie massive. Elle a trois buts: rééduquer les hommes; aider les femmes à endosser les responsabilités professionnelles qu’elles méritent; promouvoir des cercles où les femmes vivraient séparées des hommes.

D’abord, comme le patriarcat est un fait social construit, il faut le déconstruire. Pauline précise que si la relation avec son mec actuel cassait, elle n’entamerait pas une nouvelle liaison, c’est trop pénible. Son compagnon et elle ont déconstruit les normes du couple bourgeois. Il n’était pas féministe, mais n’a pas réclamé immédiatement du sexe. Sans être parfait, il ne frappe pas Pauline, ne la viole pas, fait la vaisselle et passe l’aspirateur. Ses progrès sont laborieux: il doit s’efforcer de ne pas couper la parole à Pauline et de la soutenir davantage quand elle a peur ou qu’elle pleure. Pauline ne veut pas jouer le rôle de mère et enjoindre à son compagnon de remettre le lait dans le frigo, et il est assez grand pour décider quand lancer une lessive.

Les hommes n’ont pas à se mêler de féminisme, les femmes s’en occupent assez bien toutes seules. Leur devoir est de policer leurs congénères et de renoncer à être des purs produits du patriarcat.

Au travail, des rapports égalitaires impliquent que les femmes occupent aussi des postes de cheffes. Les inégalités salariales sont inacceptables. Il est à remarquer que Pauline ne conteste pas la concurrence féroce présidant à l’accession au rang de leader. Elle entend se frayer un chemin dans le monde en passant devant les hommes. Les femmes ne doivent pas faire semblant d’être douces et sympas en pleurnichant au lieu de se mettre en colère. Qu’elles cultivent leur confiance en elles-mêmes, étant plus douées que beaucoup d’hommes médiocres sauvés par leur autosatisfaction. Les femmes n’ont pas à culpabiliser.

Bien que Pauline ait choisi d’épouser un homme qu’elle aime beaucoup – autant semble-t-il que son animal de compagnie – elle n’a pas besoin des hommes: Elle déteste les hommes en tant que groupe social et souvent en tant qu’individus, à moins qu’ils ne se demandent avec elle pourquoi ils sont ce qu’ils sont. Le couple hétérosexuel n’a rien de naturel. L’hétérosexualité obligatoire implique qu’une femme seule n’a aucune valeur. Les femmes célibataires et sans enfants sont les plus heureuses, se repaissant de leur autonomie. Elles éprouvent la joie de vivre par et pour elles-mêmes. Pauline ne souhaite pas expressément interdire les cercles masculins où la virilité s’exacerbe, bien que le virilisme soit un problème pour toute la société. En revanche, elle prône les clubs féminins excluant les hommes, où les femmes sont liées par une gamme de sentiments allant de l’amour à l’amitié et à la sororité. La vraie politique ne semble s’exercer que dans les cercles féminins, y compris les réunions Tupperware, voire les soirées pyjamas. La sororité se cultive: Femmes de tous les pays, unissez-vous ! Vous serez redoutables.

Les thèses de Pauline Harmange, exorbitantes et incohérentes (Pauline aime son partenaire, mais est hostile à tous les hommes, y compris le sien…), sans autre portée que celle d’exprimer une révolte post-adolescente se prenant au sérieux, retiennent cependant l’attention parce que le livre met en évidence les travers de l’époque: ressentiment contre le monde et les gens tels qu’ils sont, individualisme absolu (moi et mon réseau), dépolitisation – les nations et les familles cèdent la place à des cercles communautaires très limités –, rage égalitaire mêlée de sentimentalisme, luttes entre individus indifférenciés en vue d’un pouvoir illusoire ou de jobs dépourvus d’intérêt, obsession du ménage et du management.

Mais cette débandade (eh oui!) a des causes lointaines que nous éluciderons une autre fois à partir d’un roman de… Ramuz.

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