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Occident express 70

David Laufer
La Nation n° 2162 20 novembre 2020

Au premier étage de cette administration communale pour l’électricité de Belgrade se trouve le bureau des plaintes. D’environ 8 mètres carré, avec une petite fenêtre qui donne sur une cour aveugle, il est meublé et équipé avec une négligence qu’on dirait volontaire, une laideur fière de soi qui vous crie au visage dès que vous ouvrez la porte, et que vous vous trouvez contraint de prendre place sur cette chaise bancale. L’expérience était d’autant plus saisissante que de l’autre côté du bureau était assise une personne d’une beauté hollywoodienne. Prenant ma plainte avec diligence, elle accomplissait sa tâche ingrate sans donner une seconde l’impression qu’elle appartenait à un autre monde que le mien, sa nature exceptionnelle ayant dû lui promettre une vie de gloire, d’opulence et de tragédies sur papier glacé. Voilà une des spécificités de cette ville à laquelle je ne pense pas pouvoir m’habituer. Il y a quelques mois, assis avec mon beau-frère dans un restaurant, j’ai vu entrer un groupe de clientes: chacune aurait pu donner la réplique à Paul Newman; c’est le serveur qui m’a tiré de ma stupeur: «Je sais, monsieur, c’est irréel.» Pour expliquer cette étonnante concentration de très belles personnes, hommes et femmes confondus, on évoque cette péninsule balkanique traversée par toute l’humanité d’est en ouest, mais je doute que cela soit plus le cas dans cette région qu’en Suisse, au Maroc ou en Floride. Peut-être moins en réalité, lorsqu’on voit la similitude des morphologies, la dominance des personnes élancées aux cheveux bruns, la clarté des complexions, ce sentiment qu’il s’agit d’une seule et même immense famille. Les derniers siècles ont été ponctués de suffisamment de guerres, de misère et de catastrophes pour assurer un déficit démographique fréquent, une émigration massive et par conséquent peu de mélanges de populations. Je ne m’explique donc toujours pas pourquoi il m’arrive si souvent de manquer d’air en me retournant dans un café ou en me promenant sur un boulevard. Car il ne s’agit pas uniquement de beauté physique, ou disons technique, de rapport taille-poids ou de blancheur du sourire. Il s’agit également d’une attitude. Si les hommes serbes sont parfois un peu patauds et peu raffinés dans leur apparence, les femmes sont souvent - on devrait dire naturellement mais cela n’explique rien - élégantes et distinguées sans donner l’impression qu’elles en sont elles-mêmes conscientes. Il y a quelques années de cela maintenant, je suis sorti de l’église avec ma jeune épouse à mon bras, vêtue d’une robe écrue simple et coiffée d’un chignon. Du coin de l’oeil j’ai vu ma mère se rapprocher de moi et, tout en ne pouvant détacher ses yeux de cette apparition, me murmurer: «Mon Dieu, mais tu as épousé une princesse».

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