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Occident express 92

David Laufer
La Nation n° 2186 22 octobre 2021

Un documentaire passionnant relatait récemment les premières années du communisme titiste à Belgrade. On y voyait notamment les fiers-à-bras du parti, des jeunes de banlieue et de la campagne, disperser violemment les orchestres de bals qui jouaient les standards du rock naissant sous le prétexte que cette musique provenait de «l’Occident pourri». La méthode était primitive, mais la cible était bien choisie. En effet, même si le communisme était lui-même pourri de l’intérieur, le «soft power» américain de la musique pop, d’Hollywood, des hamburgers et du Coca-Cola aura plus contribué à la victoire du capitalisme que toutes les bombes à hydrogène de l’OTAN. Et c’est l’un des nombreux privilèges de vivre dans cette région du monde, celui de pouvoir observer un passé idéologique récent comme un objet muséal, désamorcé, desséché comme la momie de Ramsès II. Le communisme est mort et enterré et nous avons désormais tout loisir d’identifier les causes de son irruption, d’en suivre les évolutions et d’en comprendre l’effondrement. Une des leçons principales qu’on peut en tirer est que nous vivons tous, où que nous soyons, dans un système idéologique. Une des faiblesses majeures du communisme est d’avoir insisté sur cet aspect, d’avoir constamment tenté d’expliciter les buts de son action aux populations auxquelles il promettait ses lendemains qui chantent. Ainsi exposés, ces principes, ces obligations et ces tabous devenaient autant de sujets d’exaspération et de ridicule. Se voulant la matrice d’une humanité nouvelle, supérieure à toutes les autres formes d’organisation sociale, il se rendait en réalité vulnérable à toutes les critiques internes et externes. C’est l’une des grandes forces de l’idéologie qui domine le monde occidental de paraître évidente, de se présenter comme le résultat organique de l’histoire et de tenter d’échapper ainsi à la notion même d’idéologie. Au communisme que l’on présente comme un désir malade d’imposer une théorie figée sur une réalité fluide, on oppose notre mode de vie occidental comme un système évolutif, pratique, qui ne serait que l’expression des aspirations de l’humanité. Or une idéologie n’est jamais que la somme des valeurs et des interdits qui délimitent une société. Surtout, comme le souligne la définition qu’on trouve sur Wikipédia, «elle est diffuse et omniprésente, mais généralement invisible pour celle ou celui qui la partage, du fait même que cette idéologie fonde la façon de voir le monde». Nous observons les diables et les monstres des portails romans de Bourgogne et de Catalogne avec admiration et stupéfaction. Ces témoignages d’un monde englouti, qui nous semble aujourd’hui aussi fascinant que barbare, nous révèlent cette mécanique «diffuse et omniprésente». Mais il aura fallu des siècles pour y parvenir et comprendre leur signification idéologique. Pour le communisme, la longévité d’une vie humaine aura suffi. Il serait donc vain de vouloir définir l’idéologie du monde dans lequel nous vivons. Ce privilège n’appartient qu’à nos lointains successeurs. En attendant ce jour, dont l’échéance m’est inconnue, je vais parfois visiter le Musée de la Yougoslavie qui entoure la tombe du Maréchal Tito, lui-même devenu objet, désacralisé, nimbé de mystères autant que d’absurde, que l’on ne peut plus honorer autrement qu’en payant son ticket d’entrée. Et je me demande à quoi ressembleront les musées qui parleront de nous.

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