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Activistes de tous les temps, unissez-vous!

Jacques Perrin
La Nation n° 2214 18 novembre 2022

Renovate Switzerland, Last Generation, Just Stop Oil: les activistes climatiques s’agitent partout. Ils se collent les mains sur les autoroutes, entartent le sosie de Charles III dans le musée londonien Madame Tussauds et aspergent de sauce tomate ou de purée de pommes de terre des tableaux de Van Gogh et de Monet, en tenant, à Londres, à Potsdam ou à la sortie autoroutière de Crissier, des discours apocalyptiques devant une multitude de téléphones portables. Quand allez-vous nous écouter? demande en substance telle jeune fille aux cheveux mal teints en rose, la science dit qu’en 2050 nous nous battrons pour la nourriture. Que préférez-vous, l’art ou la vie? La protection d’un tableau ou la justice et la planète? Un tableau ne vaut plus rien quand des familles ont faim et froid, quand les sécheresses et les incendies se multiplient, quand l’énergie manque pour réchauffer de la sauce tomate. Halte aux projets pétroliers et gaziers qui vont tout emporter. A quoi bon conserver à grands frais de vieilles toiles dans un musée si nous risquons, toutes et tous, de mourir bientôt?

En 1932 paraissait le roman inachevé de Robert Musil, L’Homme sans qualités, traduit en 1956 par Philippe Jaccottet. Les événements narrés se déroulent en 1913, dernière année de l’Empire austro-hongrois avant les massacres de la guerre. Certains personnages sont occupés à organiser l’Action parallèle, sorte de célébration patriotique en l’honneur de François-Joseph.

Au chapitre 89, Paul Arnheim, industriel allemand et écrivain, songe à une soirée qu’il a dû quitter précipitamment. La plupart des invités avaient moins de trente ans: une jeunesse un pied dans la bohème, un pied dans les journaux et la célébrité. Diotime, amie de Arnheim, veut orienter vers l’Action parallèle l’extrême pointe de l’avant-garde. 

Quel merveilleux jargon ils avaient! se souvient Arnheim. Ils visaient la reconstruction de l’homme sur les bases d’un programme mondial à l’américaine. S’y opposaient et s’y mêlaient le lyrisme, le dramatisme, le technicisme, l’accélérisme, un parti individualiste, un parti social, un groupe religieux, des architectes nouveaux, un groupe cubiste. On y évoquait la bio-mécanique du sport, l’énergie mécanique, les résidences communautaires. Un individu demandait: D’une œuvre d’art ou de dix mille hommes affamés, que jugeait-on le plus important? A cette question succédait celle de savoir si dix mille œuvres d’art compensaient la misère d’un seul être humain. Des artistes qui ne semblaient pas manquer de santé exigèrent que l’artiste cessât de se donner trop d’importance; qu’il renonçât à sa propre apothéose, qu’il souffrît de la faim, qu’il devînt un être social, tel était leur programme. Quelqu’un dit que la vie était la plus grande, la seule véritable œuvre d’art. Une voix autoritaire objecta que ce n’était pas l’art, mais la faim qui unissait les hommes! […] Les débats se poursuivirent encore longtemps en zigzag. On finit cependant par tomber d’accord, parce qu’on voulait rentrer chez soi et aboutir quand même à un résultat. On s’accorda donc sur une affirmation qui se présentait à peu près de la sorte: que les temps actuels étaient une période d’attente, d’impatience, de révolte et de malheur; mais que le Messie qu’ils espéraient et attendaient n’était pas encore en vue.

Ce chapitre 89 s’intitule: Il faut vivre avec son temps. Arnheim concède à un moment qu’il faut être indulgent avec la jeunesse.

Renovate Switzerland appelle, selon 24 heures, le Conseil fédéral à former 100 000 personnes à la rénovation des bâtiments afin de lutter contre le changement climatique.

Immédiatement?

Rien de nouveau sous le soleil. Alors vivons avec notre temps et soyons indulgents…

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