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La treizième rente

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2245 26 janvier 2024

L’augmentation générale des coûts de la vie, des primes d’assurance-maladie aux loyers en passant par l’énergie, a réduit le pouvoir d’achat des Vaudois et des Suisses. Aujourd’hui on ne vit plus avec la seule AVS. L’Union syndicale suisse, les Verts et les socialistes prétendent y remédier en partie et veulent verser à nos retraités une treizième rente.

Dès son introduction, cette treizième rente coûtera 4,1 milliards par an, soit l’équivalent du budget actuel de la défense. Or l’initiative ne prévoit rien pour son financement.

Ses auteurs se contentent de rappeler que l’AVS réalisera en 2026 un excédent de 3,5 milliards, et que ses réserves totales s’élèveraient aujourd’hui à 50 milliards. Cette manière de voir est trompeuse parce qu’elle ne rappelle pas que l’AVS repose sur un système de compensation immédiate. En 2022, pour 45 milliards de recettes (cotisations, versement fédéral, TVA et autres revenus), les dépenses de l’AVS se sont élevées à 47 milliards. Le fonds de compensation de l’AVS se situait également à 47 milliards. Sa fonction est de servir de coussin financier pour amortir les fluctuations annuelles. Il ne doit ainsi pas tomber en dessous du montant d’une année de prestations. Qu’il soit bien doté ne signifie pas qu’il puisse être utilisé pour payer de nouvelles prestations. Au contraire, il faudra l’alimenter pour le mettre à hauteur des nouvelles dépenses occasionnées par la treizième rente. Contrairement aux 2e (LPP) et 3e piliers, l’AVS ne repose pas sur l’épargne. L’argent que je cotise chaque trimestre est immédiatement reversé aux bénéficiaires. Il disparaît presque instantanément.

De nouvelles prestations exigeront de nouvelles recettes. Devoir rappeler cette lapalissade est un peu navrant. On ignore comment elles seront perçues si l’initiative aboutit. On peut s’attendre à une augmentation de la contribution fédérale, donc des impôts, comme à une augmentation des cotisations, partagées entre employeurs et employés. Le serpent se mord la queue et le pouvoir d’achat de tous les Suisses continuera de baisser. Sans compter que la TVA vient d’augmenter de 7,7 à 8,1% et que certains conseillers aux Etats esquissent la possibilité d’un impôt spécial de défense nationale. Une initiative qui ne précise pas les moyens de ses objectifs est irresponsable.

Derrière la politique suisse en matière de prévoyance se pose la question du lien entre les générations. L’AVS avait été conçue comme une solidarité intergénérationnelle, les actifs payant pour les retraités. Mais en 1946, l’espérance de vie à la naissance des hommes suisses était de 65 ans, et celle des femmes de 67 ans1. Aujourd’hui, elle est, selon l’OFS, de 81 et 85 ans. Le système n’a fondamentalement pas été conçu pour absorber des retraites d’une telle durée.

Malgré la création au début des années 1980 des 2e et 3e piliers, les personnes de ma génération n’ont ni confiance ni certitude dans le fait qu’aux alentours de la septantaine elles bénéficieront à leur tour d’une retraite. Pire, le sentiment se répand que les actifs se font tondre pour payer la retraite des «boomers», génération désignée par ailleurs à tort ou à raison comme responsable de tous les maux de la planète, du réchauffement climatique aux politiques migratoires déficientes. Que l’accession à la propriété nous soit devenue beaucoup plus difficile qu’elle ne le fut pour nos parents aggrave cette dépossession supplémentaire. On en vient à se résigner à payer, maintenant encore, la facture des trente glorieuses et des promesses qu’elles n’ont pas tenues. Or l’unité d’une communauté se joue aussi sur le terrain intergénérationnel, et il appartient à chaque tranche d’âge de s’y consacrer.

Nous serions prêts à réviser notre jugement si l’initiative prévoyait simultanément une augmentation de l’âge de la retraite. Et, bien que l’idée nous en ait traversé l’esprit, nous avons jugé trop hasardeux de parier sur une double acceptation, dimanche 3 mars prochain, et de l’initiative des jeunes PLR pour l’indexation de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie, et de l’initiative des syndicats.

Ce début de fracture intergénérationnelle s’aggravera avec la prise de retraite vers 2035 de la génération qui, au début des années 1970, vit la natalité commencer de décroître. D’aucuns nous rétorqueront que l’immigration continuera de combler ce déficit démographique, et que les travailleurs étrangers cotiseront pour nos retraités. On ne saurait évidemment accepter cet argument. L’immigration pose des problèmes culturels en même temps qu’elle contribue à augmenter démentiellement la population vaudoise pour atteindre 1 million d’habitants vers 2050. On l’a compris la semaine dernière avec M. Macron: la natalité s’effondre sur tout le continent. L’immigration en provenance des Etats européens ne suffira donc pas à combler nos propres vides. Or, une augmentation de l’immigration extra-européenne posera des difficultés politiques que les frontaliers français sont bien loin de créer aujourd’hui.

En 1946, nos fondateurs voyaient derrière l’AVS la plus grave atteinte au fédéralisme depuis 18472. Sous un angle inattendu, l’initiative des syndicats renouvelle cette atteinte.

Dans des temps économiquement difficiles, de nouvelles charges financières décidées à Berne ont pour conséquence indirecte de limiter, de facto, la marge de manœuvre des cantons dans leur propre politique fiscale, rapidement suspectée d’aggraver la situation des ménages. Certes, nous soutenons l’initiative des milieux économiques pour une coupe de 12% de la facture d’impôt des personnes physiques. Cela ne signifie pas que nous acceptions que la Confédération mette le Canton devant le fait accompli de l’appauvrissement de ses habitants, en particulier les plus actifs. Nous voterons NON à une treizième rente le 3 mars prochain.

Notes:

1      Dictionnaire historique de la Suisse, «Mortalité»

2   Marcel Regamey, «Après une dure campagne», in La Nation n° 249, du 10 juillet 1947.

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