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Occident express 119

David Laufer
La Nation n° 2245 26 janvier 2024

On peut ces jours-ci s’offrir à Belgrade un petit voyage aux tréfonds de la psyché serbe pour moins de 4 francs. Il suffit de pousser les énormes portes du Musée historique de Serbie, sis dans une sévère bâtisse des années trente abritant également le Ministère de la Culture, où j’officiais comme assistant du Ministre il y a vingt ans, et plusieurs vies, de cela. L’exposition actuelle se propose comme un avant-goût de la future exposition permanente, lorsque le musée aura enfin emménagé dans ses nouveaux locaux de l’ancienne gare centrale de la capitale. Et cette exposition se résume à trois volets: la dynastie impériale des Nemanjic au Moyen Age, et les deux dynasties royales concurrentes du 19e siècle, les Karadjordjevic et les Obrenovic. Ça n’est pas un musée, c’est un mausolée, un album de famille, un long sanglot sur les monarchies disparues dans cette république actuelle, pas si secrètement honnie. Sans rentrer dans les détails, sans parler des cuillères à thé du Prince Milos Obrenovic, exposées comme des reliques médiévales et sans aucun contexte ou nécessité, c’est cette vision simpliste, sélective et mythifiante qui interpelle. Comme si l’histoire huit fois centenaire de ce petit pays, et tous les drames et les bouleversements qui s’y sont produits, pouvaient se résumer à quelques têtes couronnées, et à leurs cuillères à thé. Ou comme si, précisément, confondus eux-mêmes par tant de complexité et de contradictions, les Serbes préféraient s’en tenir à une sorte de Readers’ Digest de leur propre passé, une version épurée au maximum et naturellement flatteuse. Au-delà de ces questions muséales, c’est bien évidemment la vision que la société serbe entretient d’elle-même qui est au coeur de cette exposition. Si l’on devait s’y tenir, alors la Serbie est un Etat par essence monarchique, dirigé de toute éternité par de glorieux et redoutables soldats, n’entretenant avec ses voisins que des rapports guerriers. En bref ça n’est pas une histoire, c’est une épopée, comme celles que colportèrent durant des siècles les conteurs de la Bataille de Kosovo, elle-même sujet de trois salles entières. Il n’est donc pas surprenant, au vu de cette aberration muséo-scientifique, de considérer comme naturels les rapports qu’entretient aujourd’hui encore la Serbie, non seulement avec son passé, non seulement avec ses voisins, mais surtout avec elle-même. Chaque nation entretient ses mythes, tout cela est de bonne guerre. La France n’est pas née en 1789, la Belgique n’est qu’un accident géopolitique post-napoléonien, et sans les querelles franco-autrichiennes l’Italie ne se serait jamais unifiée. Tout cela fait partie du jeu politique et social, de la même façon que les Suisses se racontent de jolies histoires, consciemment désormais mais ça n’a pas toujours été le cas, sur le Serment du Grütli. En Serbie, les conséquences concrètes de ces balivernes sont pourtant tragiques. L’irrédentisme au sujet du Kosovo, la passion collective pour la victimisation, les haines recuites contre les voisins occidentaux, ces symptômes ne seraient pas si aigus si les Serbes, par la voie de leurs institutions, ne produisaient pas un minimum d’effort pour envisager leur propre histoire en osant y inclure le pain noir, et sans prétendre qu’on n’y trouve que du pain blanc.

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