Pudeur ou sagesse?
Dans un éditorial paru dix jours avant les élections fédérales, une journaliste de notre grand quotidien cantonal traitait, sous le titre «La pudeur qui cache la colère», du thème de l’inflation (au demeurant l’un des thèmes favoris du parti socialiste dans la course aux sièges). Outre un tableau apocalyptique sur le prix de l’alimentation, de l’essence ou de l’électricité, elle s’interrogeait: «Pourquoi [les gens] ne se rebellent-ils pas contre leur supermarché, leur assurance, leur propriétaire? Pourquoi n’interpellent-ils pas leurs représentants politiques, qui ne semblent pas avoir de solution pour soulager leurs fins de mois. Les élections fédérales seraient l’occasion de demander des comptes à nos représentants» et de déplorer dans la foulée la pudeur des Suisses.
Cet article illustre une vision très hexagonale des choses: propension à la révolte (inspirée par d’autres), appel à l’Etat (ou à la main publique) pour soulager tous les maux, en particulier économiques, focalisation sur les «puissants» (assurances, grande distribution, propriétaires). Faut-il pour autant l’implanter dans notre pays? Pour ce faire, il conviendrait avant tout de se demander quels sont concrètement les fruits d’une telle approche et, dans ce cadre, l’exemple de notre grand voisin ne fait pas rêver.
Bien au contraire, la pudeur que semble regretter la journaliste nous apparaît être une qualité. Elle résulte d’une certaine conscience des rôles respectifs de l’économie, de l’Etat (et de son administration) et de la nécessaire séparation des intérêts publics et privés. Elle est aussi le fruit de la retenue de nos concitoyens face à l’action de la main publique. Loin de lui donner tous pouvoirs et d’attendre d’elle d’improbables miracles, une majorité de Suisses persiste à considérer que l’Etat doit être essentiellement garant et non gérant: il ne lui appartient pas de s’immiscer dans tous les domaines, même si on doit à la vérité admettre que l’idée de l‘Etat-providence progresse dans les esprits, surtout de ce côté-ci de la Sarine. Outre cela, l’implication des citoyens dans les décisions politiques incite à la retenue lorsque les temps sont plus durs: on se sent en quelque sorte co-responsable. Y contribue aussi la conscience que rien n’est gratuit et que, lorsque l’Etat assume une charge ou fournit une prestation, cela sera obligatoirement assumé par l’impôt. Cette pudeur est enfin l’expression du sentiment de responsabilité individuelle: s’assumer plutôt que de quémander. On préfère ici assumer ses charges et faire le dos rond plutôt que d’exiger l’aide d’autrui, tout en ayant conscience que la perfection n’est pas de ce monde.
Une telle vision de l’Etat et de son action mérite dès lors d’être encouragée plutôt que fustigée.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La treizième rente – Editorial, Félicien Monnier
- Que chacun s’occupe de ses moutons – Benoît de Mestral
- Hors zone à bâtir – Olivier Klunge
- Occident express 119 – David Laufer
- M. Rösti joue au plus fin – Jean-François Cavin
- Une nomination bienvenue – Yves Guignard
- La zone grise – Olivier Delacrétaz
- Une bien petite «affaire du siècle» – Jean-François Cavin
- Protectionnisme et écologie – Benjamin Ansermet
- Jung, les protestants, le mal – Jacques Perrin
- Merci aux ouvriers qui travaillent sur les chantiers autoroutiers – Le Coin du Ronchon